« Pour faire un usage pervers de la notion [« d’espace lisse »], on pourrait se demander si le lisse n’est pas un modèle utile pour penser le post-capitalisme financier, dont les flux se concentrent, fuient ou glissent, se déplacent et s’agglutinent sur des valeurs, au gré de « lois » qui ont plus d’affinités avec les nécessités mystérieuses d’une météorologie de tempête qu’avec une science prédictive. (…) Deleuze lui-même avait perçu cette accointance de l’espace lisse avec la version la plus accomplie du capitalisme mondial, puisqu’il constatait lui-même, (…) « [qu’]au niveau complémentaire et dominant d’un capitalisme mondial intégré (ou plutôt intégrant), un nouvel espace lisse est produit où le capital atteint sa vitesse « absolue » (...). Les multinationales fabriquent une sorte d’espace lisse déterritorialisé où les points d’occupation comme les pôles d’échange deviennent très indépendants des voies classiques de striage » (Gilles Deleuze et Félix Guattari, Capitalisme et schizophrénie, tome 2 : Mille plateaux, Ed. de Minuit, 1980, p.614). Autrement dit, le capitalisme classique, cristallisé et générateur de striages, se doublerait à son acmé, lorsqu’il se mondialise et advient pleinement à lui-même, d’un capitalisme lisse et déterritorialisant, redevable d’une analyse deleuzienne en termes de forces, de rhizomes, de disparition du sujet et d’aformalisme fondamental. » (Mireille Buydens, « Espace lisse / Espace strié » in Le vocabulaire de Gilles Deleuze (sous la dir. Robert Sasso et Arnaud Villani), Les Cahiers de Noesis n° 3, Printemps 2003, pp. 135-136.)