Guyau

Le bonheur est une condition même d’existence

« Il est possible de rendre une sorte de vie artificielle à la tête d’un décapité : si alors sa bouche pouvait s’ouvrir et articuler des mots, ses paroles ne seraient assurément que des cris de douleur ; dans notre société il existe ainsi un certain nombre d’hommes chez lesquels le système nerveux prédomine à ce point qu’ils sont, pour ainsi dire, des cerveaux, des têtes sans corps : de tels êtres ne vivent que par surprise, par artifice ; ils ne peuvent parler que pour se plaindre, chanter que pour gémir, et leurs plaintes sont si sincères qu’elles nous vont jusqu’au coeur. Pourtant nous ne pouvons juger sur eux l’humanité pleine de vie, l’humanité d’où sortira l’avenir : leurs cris de douleur ne sont que le commencement de l’agonie. Nous arrivons à cette conclusion qu’une certaine dose de bonheur est une condition même d’existence » (p. 34).

Jean-Marie Guyau, Esquisse d’une morale sans obliation ni sanction, p. 34