Ce texte de Merleau-Ponty, philosophe du XXème siècle, est un extrait de Sens et non-sens, de l’édition Nagel (pages 297-299) paru en 1948, et est intitulé ’Pour la vérité’. Il aborde les thèmes de l’Histoire et de la politique. Hegel tente en effet de répondre à la question suivante : sur quelle vision de l’Histoire la politique doit-elle se baser ? Il parvient alors à un problème. L’Homme essaye de trouver une vision générale de l’Histoire, et a réussi à garder deux visions : le scepticisme et le déterminisme. Cependant, toutes les deux sont absurdes, alors n’y aurait-il pas une autre manière possible de voir l’Histoire ? En poursuivant dans ce sens, Merleau-Ponty parvient à faire valoir sa thèse, celle de dire qu’il n’y a pas une unique manière de voir l’Histoire, que chacun est libre de prendre celle qui désire, avec cependant certaines notions à admettre : les Hommes sont faits par l’Histoire, néanmoins ce sont aussi eux qui la font.Pour ce faire, il montre quels sont les principes du scepticisme pour ensuite montrer l’incohérence de ces pensées (lignes 1 à 6). Puis il développe son argumentation contre le scepticisme et fait le rapport entre la vision de l’Histoire du sceptique et son lien avec la politique conservatrice (lignes 6 à 16). Ensuite il donne des conditions de lecture de l’Histoire et met en avant le problème, en démontrant que ni le scepticisme ni le déterminisme ne peuvent être une bonne vision de l’Histoire ( lignes 17 à 24). Enfin, pour finir, il expose sa thèse (lignes 25 à 28).

Dans la première phrase du texte, Merleau-Ponty énonce les grands principes de la vision sceptique de l’Histoire. Ces principes sont que pour avoir une bonne politique il ne faut prendre en compte ni le passé (’renoncer à se fonder sur une philosophie de l’Histoire’), ni le futur ; et en ne prenant pas en compte le futur, oublier toute idée de perspective, de ’voeux’ et de ’jugements’, pour n’avoir à se concentrer que sur les faits actuels, de manière à en faire notre priorité. S’occuper du présent avant tout.Cependant, dans la deuxième phrase, Merleau-Ponty reprend trois termes de la première phrase pour contredire et montrer que la thèse du sceptique est totalement absurde ; ces trois termes sont ’la philosophie de l’histoire’, les ’voeux’ et les ’jugements’. L’Homme est condamné à avoir recours à ces trois termes, alors que le sceptique base sa croyance sur leur négation. D’abord il y a les voeux, qui sont des perspectives de changement, et qui montrent ce qui est négatif dans notre société. L’imagination et la réflexion aident à trouver des moyens de parvenir à ces changements. Les voeux, synonymes donc de désir de changement, d’évolution, sont nécessaires à l’Homme car l’utopie, le monde parfait, étant irréel, nous avons toujours une possibilité d’amélioration.Ensuite nous trouvons le jugement. Le jugement est l’énonciation d’une opinion propre à chacun, qui détermine nos choix, nos voeux, et est obligatoire pour l’Homme, même s’il ne désire pas émettre de jugement ...Enfin le terme philosophie de l’Histoire est énoncé. C’est ici le fait de lier passé, présent et futur pour faire de notre monde le meilleur qu’il puisse être.La thèse des sceptiques, formulée sous la forme d’une question est donc réfutée grâce à ces trois termes qui définissent la condition humaine. Merleau-Ponty insiste sur le côté indubitable de cette facette de l’Homme, avec ’que nous le voulions ou non’. Dans leur manière de penser les sceptiques ont donc l’impression de renoncer à prendre en compte autre chose que les événements présents, mais c’est faux, car aucun homme ne peut s’en passer.Avec une vision semblable de l’Histoire, comment les sceptiques peuvent-ils agir politiquement ?

L’auteur, une fois ayant montré l’absurdité de la théorie des sceptiques, montre des lignes 6 à 16 leur manière de mettre en action leurs pensées, et donc comment leurs actions politiques peuvent-elles être.Si l’on s’en tient à la doctrine sceptique, il est évident qu’aucune action serait possible puisque puisque tous les événements seraient mis sur le même pied d’égalité, et il est impossible de résoudre plusieurs problèmes à la fois. C’est sur ce point que le sceptique semble douteux. En effet, en théorie le sceptique ne se permet pas de faire des choix, mais il en fait obligatoirement. C’est ce que défend Merleau-Ponty ; car comme il le dit, ’pour régler l’action, il faut bien considérer certains faits comme dominants et d’autres comme secondaires’ : agir est par définition faire des choix. Le principe du scepticisme est donc absurde puisque sa théorie ne peut être mise en pratique. Les personnes affirmant appartenir au scepticisme sont donc hypocrites, car le choix est obligatoire dans chaque action humaine. Par exemple, pour régler un problème actuel comme la crise, il faut selon les sceptiques remettre de l’argent dans les caisses de l’Etat. Jusque-là, aucune perspective, aucun choix (si ce n’est dire que la crise est plus importante que la fonte de glaces). Mais pour que les caisses se renflouent, il faut bien trouver cet argent, et pour se faire, il est obligatoire de faire des choix pour répondre à la question ’où trouver cet argent ?’. Nous pouvons donc, grâce aux différentes visions de l’Histoire observer leurs conséquences sur la vie politique. Ainsi, retrouver les sceptiques en politique est facile : il s’agit des conservateurs. Ils veulent par définition conserver les structures déjà mises en place, sans penser aux conséquences sur le futur. L’argent étant au centre de notre société, les conservateurs tendent vers une politique capitaliste puisqu’ils tentent de faire de l’argent à tout prix, sans penser aux conséquences sur la nature ou les hommes. C’est ce fait là que Merleau-Ponty dénonce dans la ligne 16 : le sceptique, et donc le conservateur et le capitalisme ferme les yeux sur l’avenir. En continuant l’exemple de la crise, pour que l’argent des caisses de l’Etat augmente, il faut augmenter les gains et réduire les dépenses ; en pratique augmenter les impôts et diminuer les aides. Cependant, en faisant ça, on ne pense pas aux personnes qui vont être obligées de faire de nombreux sacrifices pour vivre, et même de plus en plus fréquemment pour survivre !Le sceptique, en agissant politiquement, est en contradiction avec ses principes car il fait des choix, mais n’en assume pas les responsabilités en se cachant justement derrière cette théorie qu’il ne fait aucun choix ... D’où la dénonciation par Merleau-Ponty d’une ’philosophie de l’Histoire honteuse’.Ayant montré que le scepticisme n’est pas une bonne manière de voir l’Histoire et par le fait d’agir politiquement, quelles peuvent être les clés d’une bonne lecture de l’Histoire ?

Merleau-Ponty essaye donc de définir ensuite quelles seraient les conditions pour avoir une bonne vision de l’Histoire. La première clé serait selon lui de n’avoir aucun préjugé en appréhendant les faits actuels, et de n’avoir aucune mauvaise influence d’une vision préconçue, comme le scepticisme. En effet, pour pouvoir résoudre un problème, il faut voir toutes les sources de ce problème et s’interroger, car il n’est pas possible qu’un événement n’ait qu’une seule cause ; et il faut aussi voir quelles sont les différentes possibilités car, pareillement, un problème n’a pas qu’une seule solution. Et puis, en disant cela, l’auteur soutient qu’il vaut mieux se fier aux faits réels qu’à une doctrine théorique qui ne peut pas se concrétiser ... Il met aussi en avant le fait que les Hommes seraient peut-être plus passifs par rapport à l’Histoire que ce qu’ils croient. Une solution serait peut-être d’admettre que ce n’est pas l’Homme qui décide de son histoire, mais autre chose, et que l’Histoire serait déterminée d’avance ... C’est la théorie que défend le déterminisme : il s’agit en effet de croire que l’Histoire est prédéterminée, que tout est déjà prévu à l’avance, et que les causes sont reliées entre elles puisque les effets suivent nécessairement. Si l’on se base sur cette pensée, nous n’avons donc aucune responsabilité puisque tout est déjà prévu, y comprit les effets des causes actuelles. Selon le déterminisme, nous avons l’impression d’être libre de nos choix, cependant ce n’est qu’une illusion car réellement il n’en est rien ... L’Histoire serait comme un ’moteur’ qui échapperait au contrôle des Hommes. Prenons par exemple un Grand Homme de l’Histoire : Napoléon. Il a changé le cours de l’histoire, certes, mais si le contexte économique, politique et historique n’était pas celui de son époque, il n’aurait jamais eu l’apparente importance qu’il a eu ; et si l’Homme qu’était Napoléon Bonaparte était né à une autre époque, jamais il n’aurait fait de coup d’Etat, et c’est un autre Homme qui serait devenu Empereur. Ceci serait le point de vue du sceptique. Cependant, c’est Napoléon lui-même qui a fait ses choix, et si ce n’était pas lui, aurait-il été, par exemple, condamné à perdre à Waterloo et à mourir à St Hélène ? De la même façon, faut-il pardonner à Hitler ce qu’il a fait pour la simple raison que c’était ce qui était prévu pour lui, que c’est le contexte de la crise économique des années 30 qui était propice à la montée au pouvoir d’un dictateur ? Ce serait totalement absurde, car dans ce cas-là notre existence elle-même serait absurde ...L’auteur montre cette absurdité en parlant des Grands Hommes à travers le mot ’habiles’ et en évoquant ’des fins ignorées d’eux’ pour le destin irrévocable qui serait nôtre.C’est donc après avoir montré l’invraisemblabilité du déterminisme que Merleau-Ponty aborde le véritable problème (lignes 22 à 24) : l’Histoire ne peut-être envisagée ni du point de vue du déterminisme, où tout serait déjà prévu pour nous, ni de celui du scepticisme, où aucun choix ne devrait être fait ... Dans ce cas-là, quelle est la véritable vision de l’Histoire que l’Homme doit adopter ?

C’est dans les quatre dernières lignes que Merleau-Ponty donne sa thèse concernant la vision de l’Histoire. Il dit que nous devons prendre les faits comme ils viennent, sans avoir d’idées préconçues, puisque chaque chose ne se produit jamais deux fois (par exemple deux villes situées toutes les deux au bord de mer ne se développeront pas de la même manière, et à la fin l’une peut atteindre le stade de prospérité économique, alors que l’autre restera un petit village de pêcheurs). Ensuite, il faut reconnaître ’le chaos et le non-sens’, bien évidemment, puisque contrairement à ce que le déterminisme affirme, tous les faits ne sont pas forcément reliés entre eux ; même si il faut accepter une certaine relation cause/effet puisque chaque choix que nous faisons aura des répercussions sur nous, ou encore sur les générations futures, et sur la Terre en général. Il faut enfin admettre que le monde, depuis toujours change et continuera de changer.C’est de cette manière que nous pouvons avoir des projets pour l’avenir, dans une optique de changements positifs pour la société et pour l’humanité. Car enfin, même si nous sommes chacun libres de nos actes et responsables de nos choix (de ce fait chaque Homme est libre d’avoir sa propre vision de l’Histoire s’il l’entend), l’Histoire ne concerne pas qu’un homme, mais la totalité de l’Humanité.

Merleau-Ponty, dans son texte, critique amplement tout d’abord le scepticisme, mais aussi le déterminisme ... Mais est-ce que ces deux visions sont si absurdes que ce qu’il dit ?

La description du scepticisme dans ce texte est en effet très caricaturée. Le sceptique essaye d’être le plus objectif possible face à l’Histoire ; et s’il essaye de faire le moins de choix possible, c’est parce qu’il a peur que les buts qu’il convoite soient inaccessibles et hors d’atteinte. Il se passe donc de jugement pour atteindre un stade de ’tranquilité de l’âme’, de ’sagesse’, évoquée par certains philosophes de l’Antiquité.Ensuite, le sceptique doute sur le monde qui l’entoure, même s’il est vrai que ne pas faire de choix est impossible. Hume, philosophe du XVIIIème siècle, adepte du scepticisme mitigé, du scepticisme dans la vie courante, explique ’on ne peut pas douter de tout, mais il est bon de savoir remettre en cause notre savoir’. Il rejoint donc sur ce point le fait que l’abstention de jugement est une certaine marque de sagesse.

Le déterminisme peut aussi parfois être justifié. En effet, chaque chose qui arrive aurait-pu être prédite avant, en étudiant l’ensemble des causes qui l’ont produite. Car chaque chose est forcément le résultat d’une combinaison de causes. Et si les Hommes, au milieu de tout ça, croient agir dans leur intérêt particulier, ils participent au bon déroulement d’un plan déjà prévu (comme un ’fil conducteur de la Nature’ évoqué par Kant), sans même s’en rendre compte.C’est ce qu’Hegel évoque dans son oeuvre La Raison dans l’Histoire. Selon lui, en effet, il existe une sorte d’Esprit du monde (ce que les croyants pourraient apparenter à un Dieu, ou des Dieux créateurs et régissant le Monde) qui aurait pensé notre Monde et qui nous impose son propre plan pour l’Humanité ; alors que l’Homme croit agir par lui-même. Il appelle cela la ’ruse et la raison’ ; le fait que nous ne sommes au final que des marionnettes qui pensent faire leurs propres choix de vie, ce que nous pensons être NOTRE raison est en fait LA Raison, qui nous contrôle malgré nous.Une deuxième précaution est à prendre si l’on veut pouvoir appréhender le déterminisme avec sérieux : il s’agit de faire la distinction entre ’déterminé’ et ’conditionné’. En effet, l’Homme est conditionné : il est pris dans certaines conditions qu’il ne peut pas changer, que ce soient les contextes familiaux, économiques, géographiques, ... avec lesquels il vit (par exemple rares sont les personnes qui auraient choisi de vivre à notre époque, alors que la crise est présente, que la Terre va mal, ...). Cependant, dans ces conditions qui nous sont imposées, nous pouvons nous déterminer chacun personnellement. Il est donc finalement possible de dire que l’Homme est fait par l’Histoire, mais qu’il agit aussi de son propre vouloir sur elle.

Une bonne vision de l’Histoire, avec les effets sur la Politique qu’elle comprend, ne peut se limiter ni au déterminisme ni au scepticisme. Il n’y a d’ailleurs pas une seule possibilité, car chacun a le choix de prendre celle qu’il veut. Il y a seulement certaines conditions à prendre en compte : il faut d’une part prendre les faits comme ils viennent (n’avoir aucun préjugé) pour ne se fermer aucune porte, que se soit pour les causes d’un événement ou pour les effets, car les deux ouvriront de multiples possibilités ; et d’une autre part prendre chaque fait à part, car il n’est pas possible que tout soit relié (le non-sens est présent de toute manière). Néanmoins certaines facettes du scepticisme comme du déterminisme peuvent être à retenir. Le scepticisme, par son désir de ne pas porter de jugement tend vers une sagesse. Quand au déterminisme, même s’il admet qu’un certain fil conducteur guide l’Humanité, chaque homme a la possibilité de faire certains choix dans sa vie, qui aura certaines conséquences sur son avenir.C’est donc en ayant recours à un savant mélange du scepticisme et du déterminisme que l’Humanité pourra écrire sa propre histoire.