Kant

Posséder le Je dans sa représentation

Posséder le Je dans sa représentation : ce pouvoir élève l’homme infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la terre. Par là, il est une personne ; et grâce à l’unité de la conscience dans tous les changements qui peuvent lui survenir, il est une seule et même personne, c’est-à-dire un être entièrement différent, par le rang et la dignité, de choses comme le sont les animaux sans raison, dont on peut disposer à sa guise ; et ceci, même lorsqu’il ne peut pas dire Je, car il l’a dans sa pensée ; ainsi toutes les langues, lorsqu’elles parlent à la première personne, doivent penser ce Je, même si elles ne l’expriment pas par un mot particulier. Car cette faculté (de penser) est l’entendement.

Il faut remarquer que l’enfant, qui sait déjà parler assez correctement ne commence qu’assez tard (peut-être un an après) à dire Je ; avant, il parle de soi à la troisième personne (Charles veut manger, marcher, etc.) ; et il semble que pour lui une lumière vienne de se lever quand il commence à dire Je ; à partir de ce jour, il ne revient jamais à l’autre manière de parler. Auparavant il ne faisait que se sentir ; maintenant il se pense. - L’explication de ce phénomène serait assez difficile pour l’anthropologue. Remarquons qu’un enfant, dans les trois premiers mois de sa vie, n’extériorise ni pleurs ni rires ; ce qui parait dépendre aussi du développement de certaines représen-tations d’offense et d’injustice qui se réfèrent à la raison. - Il se met, dans cette période, à suivre des yeux les objets brillants qui lui sont présentés ; c’est là le fruste commencement du progrès des perceptions (appréhension de la représentation sensi-ble) ; elles se développeront jusqu’à une reconnaissance des objets des sens, c’est-à-dire jusqu’à l’expérience.

Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique, §1
Trad. Foucault, Vrin, 1984, p.17