6ème philosophe : Paul Thiry, baron d’Holbach (8 décembre 1723 à Edesheim - 21 janvier 1789 à Paris)

On prétend que le sauvage est un être plus heureux que l’homme civilisé. Mais en quoi consiste son bonheur et qu’est-ce qu’un Sauvage ? c’est un enfant vigoureux, privé de ressources, d’expériences, de raison, d’industrie, qui souffre continuellement la faim et la misère, qui se voit à chaque instant forcé de lutter contre les bêtes, qui d’ailleurs ne connaît d’autre loi que son caprice, d’autres règles que ses passions du moment, d’autre droit que la force, d’autre vertu que la témérité. C’est un être fougueux, inconsidéré, cruel, vindicatif, injuste, qui ne veut point de frein, qui ne prévoit pas le lendemain, qui est à tout moment exposé à devenir la victime, ou de sa propre folie, ou de la férocité des stupides qui lui ressemblent.

La Vie Sauvage ou l’état de nature auquel des spéculateurs chagrins ont voulu ramener les hommes, l’âge d’or si vanté par les poètes, ne sont dans le vrai que des états de misère, d’imbécillité, de déraison. Nous inviter d’y rentrer, c’est nous dire de rentrer dans l’enfance, d’oublier toutes nos connaissances, de renoncer aux lumières que notre esprit a pu acquérir : tandis que, pour notre malheur, notre raison n’est encore que fort peu développée, même dans les nations les plus civilisées.

[...] Les partisans de la Vie Sauvage nous vantent la liberté dont elle met à portée de jouir, tandis que la plupart des nations civilisées sont dans les fers. Mais des sauvages peuvent-ils jouir d’une vraie liberté ? Des êtres privés d’expériences et de raison, qui ne connaissent aucun motif pour contenir leurs passions, qui n’ont aucun but utile, peuvent-ils être regardés comme des êtres vraiment libres ? Un Sauvage n’exerce qu’une affreuse licence, aussi funeste pour lui-même, que nuisible pour les malheureux qui tombent en son pouvoir. La liberté entre les mains d’un être sans culture et sans vertu, est une arme tranchante entre les mains d’un enfant.

D’HOLBACH, Système social