Chapitre I

De l’Opinion, de la croyance et du savoir.

  • 25 août 2006


(1) Pour commencer donc à parler des modes [1] dont l’homme est formé nous dirons : 1° ce qu’ils sont ; 2° leurs effets ; 3° leur cause.
Quant au premier point, commençons par ceux qui nous sont les premiers connus, savoir certains concepts ou la conscience de la connaissance de nous-mêmes et des choses qui sont en dehors de nous [*].

(2) Nous acquérons ces concepts ou bien :
1° Par la croyance [**] seule ; laquelle croyance se forme ou par ouï-dire ou par expérience [2], ou bien :
2° Par une croyance droite, ou bien :
3° Par une connaissance claire et distincte.
Le premier mode est communément soumis à l’erreur.
Le second et le troisième, bien qu’ils soient différents entre eux, ne peuvent cependant pas tromper.

(3) Pour comprendre cela plus distinctement, toutefois, nous proposerons un exemple pris de la règle de trois, à savoir :
1° Quelqu’un a entendu dire que si, selon la règle de trois on multiplie le second nombre par le troisième et qu’on divise ensuite par le premier, on trouve un quatrième nombre qui est avec le troisième dans le même rapport que le second avec le premier. Et sans considérer que celui qui lui a donné cette indication pouvait mentir, il a réglé son travail là-dessus ; et cela sans avoir plus de connaissance de la règle de trois qu’un aveugle de la couleur ; et il a débité ainsi tout ce qu’il a pu dire, comme fait un perroquet pour, ce qu’on lui a appris [3].
2° Un autre qui est de conception plus rapide ne se contente pas ainsi du oui-dire, mais il cherche une vérification dans certains calculs particuliers, et quand il trouve que ces derniers s’accordent avec la règle, il lui accorde créance. Mais nous avons eu raison de dire que ce mode aussi est exposé à l’erreur ; comment, en effet, peut-il être sûr que l’expérience de quelques cas particuliers lui puisse être une règle pour tous [4] ?
3° Un troisième qui ne se satisfait ni du ouï-dire, parce qu’il peut tromper, ni de l’expérience de quelques cas particuliers, parce qu’elle ne peut donner de règle universelle, consulte la Raison vraie qui n’a jamais trompé ceux qui en ont fait bon usage. Cette raison lui dit que par la propriété des nombres proportionnels cela est ainsi et ne pouvait pas être ni arriver autrement [5]. Toutefois :
4° Le quatrième qui a la connaissance la plus claire n’a besoin ni du ouï-dire, ni de l’expérience, ni de l’art de conclure, parce que, par son intuition claire, il aperçoit aussitôt la proportionnalité dans tous les calculs [6].



[1[Notes du chapitre 1, dans A (ces notes ne figurent pas dans l’édition van Vloten et Land)] :
Les modes dont l’homme est formé sont des concepts répartis en opinion, croyance droite et connaissance claire et distincte, causée par les objets, chacun selon son espèce.

[*Traduction littérale du texte ; voir note explicative.

[**Le mot employé plus loin est opinion (voir note à la fin du chapitre) Le traducteur hollandais a, dans ce passage, traduit opinio et fides par le même mot geloof (croyance).

[2Les représentations provenant d’une croyance de cette sorte sont exposées dans le chapitre suivant et appelées mainte fois opinions comme elles sont en effet.

[3Celui-là présume ou, comme on dit d’ordinaire, croit par ouï-dire seulement.

[4Celui-là présume ou croit non par ouï-dire seulement, mais par expérience ; et ce sont les deux façons de s’imaginer.

[5Celui-là est certain par la croyance droite qui ne peut le tromper et il est celui qui proprement croit.

[6Mais ce dernier n’imagine ni ne croit jamais, il voit la chose même, non par quelque autre, mais en elle-même.

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