EII - Proposition 7 - scolie

  • 12 avril 2004

Ici, avant de poursuivre, il nous faut nous rappeler ce que nous avons fait voir ci-dessus : que tout ce qui peut être perçu par un entendement infini comme constituant une essence de substance, appartient à une substance unique, et en conséquence que substance pensante et substance étendue, c’est une seule et même substance comprise tantôt sous un attribut, tantôt sous l’autre. De même aussi un mode de l’étendue et l’idée de ce mode, c’est une seule et même chose, mais exprimée en deux manières ; c’est ce que quelques Hébreux semblent avoir vu comme à travers un nuage. Je veux dire ceux qui admettent que Dieu, l’entendement de Dieu et les choses dont il forme l’idée, sont une seule et même chose. Par exemple, un cercle existant dans la Nature et l’idée du cercle existant, laquelle est aussi en Dieu, c’est une seule et même chose qui s’explique par le moyen d’attributs différents ; et ainsi, que nous concevions la Nature sous l’attribut de l’Étendue ou sous l’attribut de la Pensée ou sous un autre quelconque, nous trouverons un seul et même ordre ou une seule et même connexion de causes, c’est-à-dire les mêmes choses suivant les unes des autres. Et si j’ai dit que Dieu est cause d’une idée, de celle d’un cercle par exemple, en tant seulement qu’il est chose pensante, comme du cercle en tant seulement qu’il est chose étendue, mon seul motif pour tenir ce langage a été qu’on ne peut percevoir l’être formel de l’idée du cercle que par le moyen d’un autre mode de penser, qui en est comme la cause prochaine, qu’on ne peut percevoir cet autre à son tour que par le moyen d’un autre encore et ainsi à l’infini ; de sorte que, aussi longtemps que les choses sont considérées comme des modes du penser nous devons expliquer l’ordre de la Nature entière, c’est-à-dire la connexion des causes par le seul attribut de la Pensée ; et en tant qu’elles sont considérées comme des modes de l’Étendue, l’ordre de la Nature entière doit être expliqué aussi par le seul attribut de l’Étendue, et je l’entends de même pour les autres attributs. C’est pourquoi Dieu est réellement, en tant qu’il est constitué par une infinité d’attributs, cause des choses comme elles sont en elles-mêmes ; et je ne puis présentement expliquer cela plus clairement. [*]


Hic antequam ulterius pergamus, revocandum nobis in memoriam est id quod supra ostendimus nempe quod quicquid ab infinito intellectu percipi potest tanquam substantiæ essentiam constituens, id omne ad unicam tantum substantiam pertinet et consequenter quod substantia cogitans et substantia extensa una eademque est substantia quæ jam sub hoc jam sub illo attributo comprehenditur. Sic etiam modus extensionis et idea illius modi una eademque est res sed duobus modis expressa, quod quidam Hebræorum quasi per nebulam vidisse videntur, qui scilicet statuunt Deum, Dei intellectum resque ab ipso intellectas unum et idem esse. Exempli gratia circulus in natura existens et idea circuli existentis quæ etiam in Deo est, una eademque est res quæ per diversa attributa explicatur et ideo sive naturam sub attributo extensionis sive sub attributo cogitationis sive sub alio quocunque concipiamus, unum eundemque ordinem sive unam eandemque causarum connexionem hoc est easdem res invicem sequi reperiemus. Nec ulla alia de causa dixi quod Deus sit causa ideæ exempli gratia circuli quatenus tantum est res cogitans et circuli quatenus tantum est res extensa nisi quia esse formale ideæ circuli non nisi per alium cogitandi modum tanquam causam proximam et ille iterum per alium et sic in infinitum, potest percipi ita ut quamdiu res ut cogitandi modi considerantur, ordinem totius naturæ sive causarum connexionem per solum cogitationis attributum explicare debemus et quatenus ut modi extensionis considerantur, ordo etiam totius naturæ per solum extensionis attributum explicari debet et idem de aliis attributis intelligo. Quare rerum ut in se sunt, Deus revera est causa quatenus infinitis constat attributis nec impræsentiarum hæc clarius possum explicare.


[*(Saisset) : Avant d’aller plus loin, il faut ici se remettre en mémoire ce que nous avons montré plus haut, c’est à savoir que tout ce qui peut être perçu par une intelligence infinie, comme constituant l’essence de la substance, tout cela appartient à une substance unique, et, par conséquent, que la substance pensante et la substance étendue ne font qu’une seule et même substance, laquelle est conçue tantôt sous l’un de ses attributs et tantôt sous l’autre. De même, un mode de l’étendue et l’idée de ce mode ne font qu’une seule et même chose exprimée de deux manières. Et c’est ce qui paraît avoir été aperçu, comme à travers un nuage, par quelques Hébreux qui soutiennent que Dieu, l’intelligence de Dieu, et les choses qu’elle conçoit, ne font qu’un. Par exemple, un cercle qui existe dans la nature et l’idée d’un tel cercle, laquelle est aussi en Dieu, c’est une seule et même chose exprimée par deux attributs différents, et par conséquent, que nous concevions la nature sous l’attribut de l’étendue ou sous celui de la pensée ou sous tel autre attribut que ce puisse être, nous trouverons toujours un seul et même ordre, une seule et même connexion de causes ; en d’autres termes, les mêmes choses résultent réciproquement les unes des autres. Et si j’ai dit que Dieu est cause de l’idée du cercle, par exemple, en tant seulement qu’il est chose pensante, et du cercle, en tant seulement que chose étendue, je ne l’ai pas dit pour une autre raison pour une autre raison que celle-ci : c’est que l’être formel de l’idée du cercle ne peut être conçu que par un autre mode de la pensée, pris comme sa cause prochaine, et celui-ci par un autre mode, et ainsi à l’infini ; de telle façon que, si vous considérez les choses comme modes de la pensée, vous devez expliquer l’ordre de toute la nature ou la connexion des causes par le seul attribut de la pensée ; et si vous les considérez comme modes de l’étendue, par le seul attribut de l’étendue, et de même pour tous les autres attributs. C’est pourquoi Dieu est véritablement la cause des choses considérées en elles-mêmes, en tant qu’il est constitué par une infinité d’attributs, et je ne puis en ce moment expliquer ceci plus clairement.

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