Traité politique, II, §14

  • 3 décembre 2004


En tant que les hommes sont en proie à la colère, à l’envie, ou à quelque sentiment de haine, ils sont entraînés à l’opposé les uns des autres et contraires les uns aux autres, et d’autant plus redoutables qu’ils ont plus de pouvoir et sont plus habiles et rusés que les autres animaux. Comme maintenant les hommes (ainsi que nous l’avons vu au § 5 de ce chapitre) sont très sujets par nature à ces sentiments, ils sont aussi par nature ennemis les uns des autres [1] : celui-là en effet est mon plus grand ennemi, qui est le plus redoutable pour moi, et de qui je dois le plus me garder.


Traduction Saisset :

Tant que les hommes sont en proie à la colère, à l’envie et aux passions haineuses, ils sont tiraillés en divers sens et contraires les uns aux autres, d’autant plus redoutables qu’ils ont plus de puissance, d’habileté et de ruse que le reste des animaux ; or les hommes dans la plupart de leurs actes étant sujets par leur nature aux passions (comme nous l’avons dit à l’article 5 de ce chapitre), il s’ensuit que les hommes sont naturellement ennemis. Car mon plus grand ennemi, c’est celui que j’ai le plus à craindre et dont j’ai le plus à me garder.


Quatenus homines ira, invidia aut aliquo odii affectu conflictantur, eatenus diverse trahuntur et invicem contrarii sunt, et propterea eo plus timendi, quo plus possunt, magisque callidi et astuti sunt, quam reliqua animalia ; et quia homines ut plurimum (ut in art. 5. praeced. cap. diximus) his affectibus natura sunt obnoxii, sunt ergo homines ex natura hostes. Nam is mihi maximus hostis, qui mihi maxime timendus et a quo mihi maxime cavendum est.

Dans la même rubrique

Traité politique, II, §01

Nous avons traité dans notre Traité Théologico-Politique du droit naturel et du droit civil, et dans notre Éthique nous avons expliqué ce qu’est (...)

Traité politique, II, §02

Toute chose naturelle peut être conçue adéquatement, qu’elle existe ou n’existe pas. Toutefois le principe en vertu duquel les choses naturelles (...)

Traité politique, II, §03

Sachant donc que la puissance par laquelle existent et agissent les êtres de la nature est la puissance même de Dieu, nous connaissons (...)

Traité politique, II, §04

Par droit de nature, donc, j’entends les lois mêmes ou règles de la Nature suivant lesquelles tout arrive, c’est-à-dire la puissance même de la (...)

Traité politique, II, §05

Si donc la nature humaine était disposée de telle sorte que les hommes vécussent suivant les seules prescriptions de la raison, et si tout leur (...)

Traité politique, II, §06

La plupart cependant croient que les insensés troublent l’ordre de la nature plutôt qu’ils ne le suivent, et la plupart aussi conçoivent les (...)

Traité politique, II, §07

Personne ne peut nier que l’homme, comme les autres individus, s’efforce à conserver son être. Si l’on pouvait concevoir quelques différences, (...)

Traité politique, II, §08

Nous concluons donc qu’il n’est pas au pouvoir de chaque homme d’user toujours de la raison et de se maintenir au faîte de la liberté humaine ; (...)

Traité politique, II, §09

Il suit encore de ce qui précède, que chacun est dans la dépendance d’un autre aussi longtemps qu’il est soumis au pouvoir de cet autre, et (...)

Traité politique, II, §10

Celui-là tient un autre en son pouvoir, qui le tient enchaîné, ou à qui il a pris toutes ses armes, tout moyen de se défendre et d’échapper, ou (...)

Traité politique, II, §11

La faculté de juger peut être soumise à la volonté d’un autre dans la mesure où l’âme peut être trompée par cet autre ; d’où suit que l’âme (...)

Traité politique, II, §12

L’engagement pris en parole envers quelqu’un de faire ou au contraire de ne pas faire telle ou telle chose quand on a le pouvoir d’agir (...)

Traité politique, II, §13

Si deux personnes s’accordent entre elles et unissent leurs forces, elles auront plus de pouvoir ensemble et conséquemment un droit supérieur (...)

Traité politique, II, §15

Comme (suivant le § 9 de ce chapitre) à l’état naturel chacun est son propre maître aussi longtemps qu’il peut se garder de façon à ne pas subir (...)

Traité politique, II, §16

Quand des hommes ont des droits communs et que tous sont conduits comme par une seule pensée, il est certain (par le § 13 de ce chapitre) que (...)

Traité politique, II, §17

Ce droit que définit la puissance du nombre, on a coutume de l’appeler pouvoir public, et celui-là possède absolument ce pouvoir, qui, par la (...)

Traité politique, II, §18

On voit clairement par ce que nous venons de montrer dans ce chapitre, que dans l’état de nature il n’y a point de péché, ou bien, si quelqu’un (...)

Traité politique, II, §19

Le péché donc ne peut se concevoir que dans un État, c’est-à-dire s’il a été décidé en vertu du droit de commander qui appartient à la (...)

Traité politique, II, §20

Nous avons coutume cependant d’appeler aussi péché ce qui se fait contrairement à l’injonction de la saine raison, et obéissance une volonté (...)

Traité politique, II, §21

Toutefois comme la raison enseigne à pratiquer la moralité, à vivre dans la tranquillité et la paix intérieure, ce qui n’est possible que s’il y (...)

Traité politique, II, §22

Pour ce qui touche à la religion, il est certain que l’homme est d’autant plus libre et d’autant plus d’accord avec lui-même, qu’il aime Dieu (...)

Traité politique, II, §23

De même donc que le péché et l’obéissance (au sens strict) ne peuvent se concevoir que dans un État, de même la justice et l’injustice. Il n’y a (...)

Traité politique, II, §24

Quant à la louange et au blâme, nous l’avons expliqué dans notre Éthique, ce sont des sentiments de joie ou de tristesse qu’accompagne comme (...)