"Ne suppose jamais aucune pensée dans ton semblable", disait un sage qui aimait le paradoxe. Il voulait dire : "Ne suppose jamais en lui la pensée qui devrait être en toi si tu disais ce qu’il dit." La passion explique assez les discours les plus insensés, et aussi ceux où l’on découvre une apparence de raison. Comme la machine de notre corps est capable de trembler, de courir ou de frapper sans permission, dès que l’émotion, si bien nommée, court parmi les muscles, ainsi elle peut crier, et même former des discours selon les plis de la mémoire, et sans aucune intention. Un ivrogne, en ses jurons, ne pense nullement à dieu ni à diable. Dans les propos d’un bavard, presque tout est fait, en quelque sorte, à la machine ; et, même dans les discours étudiés, il y a une partie de remplissage, qui fut peut-être méditée, mais qui ne l’est point maintenant. En somme, discours ne sont souvent que bruit. Comme la charrue fait son bruit de ferraille, comme l’épée fait son cliquetis, le vent son sifflement et la porte son grincement, ainsi un homme agité fait un bruit de discours. Je plains celui qui essaie de comprendre ; encore plus celui qui croit comprendre. Il n’y a rien à comprendre.