I. Personne n’a jamais nié que toute l’autorité dans les choses séculières ne dérive de la puissance de souverain, soit qu’elle demeure tout entière entre les mains d’un seul homme, ou qu’elle soit commise à une certaine assemblée. Mais les -discours qui précèdent font voir, que cette même autorité, en ce qui regarde le spirituel, dépend de celle de l’église, et de plus que tout État chrétien est une église pourvue de la même puissance. D’où les plus stupides peuvent tirer aisément cette conséquence que, dans une république chrétienne (c’est-à-dire, en celle en laquelle un prince, ou bien une cour chrétienne, domine souverainement), toute l’autorité tant séculière que spirituelle est réunie sous notre Seigneur Jésus-Christ en ceux qui la gouvernent ; et qu’ainsi il leur faut obéir en toutes choses. A l’encontre de cette conclusion, et sur ce qu’il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes, cette difficulté s’est élevée, comment c’est que l’on peut leur rendre sans danger une telle obéissance, s’il leur échoit de commander quelque chose que Christ ait défendue ? La cause de cette difficulté vient de ce que Dieu ne parlant plus à nous de vive voix par Christ ni par ses prophètes, mais par les Saintes Écritures, qui sont diversement reçues par diverses personnes, on entend bien ce que les rois et les conciles ordonnent ; mais on ne sait pas si ce qu’ils commandent est contraire à la parole de Dieu. D’où il arrive que les hommes, flottant dans l’incertitude, et ne sachant à qui obéir, entre les appréhensions d’une mort éternelle et la crainte de perdre la vie présente, comme entre Scylla et Charybde, tombent souvent en ces deux écueils funestes. Mais ceux qui savent bien distinguer les choses nécessaires au salut d’avec celles qui ne le sont pas, ne peuvent point être agités de ce doute. Car, si les commandements du prince ou de l’État sont tels qu’on peut leur obéir sans préjudice du salut éternel, ce serait une injustice que de leur refuser obéissance, et en cette occasion, il faut mettre en usage le précepte de l’apôtre, Col. 3. 20. 22. Serviteurs, obéissez en toutes choses à ceux qui sont vos maîtres selon la chair. Enfants, obéissez à vos pères et mères en toutes choses, et le commandement de Christ, Matth. 23. verset 2. Les scribes et pharisiens sont en la chaire de Moïse : toutes les choses donc qu’ils vous diront que vous gardiez, gardez-les et les faites. Et au contraire, s’ils commandent des actions qui sont punies en l’autre monde d’une mort éternelle, ce serait la plus haute de toutes les folies, si l’on n’aimait mieux perdre en désobéissant une vie que la nature doit bientôt finir, que de se mettre au hasard de mourir éternellement par une honteuse obéissance. A quoi se rapportent les paroles généreuses de notre Seigneur : ne craignez point ceux qui tuent le corps, et qui ne peuvent point tuer Pâme, Matth. 10. vers. 28. Voyons donc quelles sont toutes ces choses nécessaires au salut.

II. Toutes les choses nécessaires au salut sont comprises dans ces deux vertus, la foi et l’obéissance. Si cette dernière pouvait être parfaite, elle suffirait toute seule pour empêcher notre condamnation. Mais parce que nous sommes déjà depuis longtemps tous coupables de rébellion contre Dieu en Adam notre premier père ; et que d’ailleurs nous avons péché actuellement nous-mêmes, il ne suffit pas de l’obéissance, si la rémission des péchés n’y est ajoutée. Or, celle-ci est la récompense de la foi, et il n’y a point d’autre chemin pour entrer au royaume des cieux. La foi donc est la seule chose qui est requise au salut éternel. Car la porte du royaume de Dieu n’est fermée qu’aux pécheurs, c’est-à-dire à ceux qui ne rendent pas à la loi divine l’obéissance qui lui est due ; et même elle est ouverte à ceux-ci, pour-vu qu’ils croient les articles nécessaires de la foi chrétienne. De sorte que si nous pouvons discerner nettement en cet endroit en quoi c’est que consiste l’obéissance, et quels sont les articles nécessaires de la foi chrétienne, nous connaîtrons manifestement quelles sont les choses que nous sommes tenus de faire au commandement du prince ou de l’État, et quelles sont les autres dont nous devons nous abstenir.

III. Or, par l’obéissance, nous ne devons pas entendre ici une action, mais la volonté que nous avons, et le désir avec lequel nous nous proposons de tâcher autant qu’il nous sera possible d’obéir dorénavant. Auquel sens le mot d’obéissance vaut autant que celui de repentance. En effet, la vertu de pénitence ne consiste pas en la douleur qui accompagne le souvenir du péché, mais en la conversion à une meilleure vie, et au dessein de ne plus pécher, sans lequel cette douleur est plutôt une marque du désespoir, qu’un fruit de la repentance. Mais d’autant que ceux qui aiment Dieu ne peuvent être qu’ils ne veuillent obéir à ses commandements, et que ceux qui aiment leur prochain du bon du cœur, doivent être en une disposition intérieure d’accomplir la loi morale, qui consiste (comme il a été dit au chap. III) en la défense de l’orgueil, de l’ingratitude, de l’outrage, de l’inhumanité, de la cruauté, de l’injure, et des autres offenses qui blessent notre prochain ; le terme d’obéissance signifie la même chose que ceux d’amour ou de charité. Celui aussi de justice (qui est définie une constante volonté de rendre à chacun ce qui lui appartient) tombe dans la même signification. Maintenant donc, que la foi et la repentance suffisent au salut, il est manifeste, premièrement, de la seule alliance du baptême : car ceux qui se convertissaient le jour de la Pentecôte, demandant à saint Pierre ce qu’ils avaient à faire, il leur répondit : Amendez-vous, et qu’un chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ en rémission des péchés, Act. 2. 38. Il n’y avait donc rien à faire pour obtenir le sacrement du baptême, c’est-à-dire pour avoir entrée au royaume de Dieu, qu’à se repentir et à croire au nom du Seigneur jésus : vu que le royaume du Ciel est promis par l’alliance qui est traitée en cette sainte cérémonie. La même chose est prouvée des paroles de Christ, lorsqu’il répond à un certain homme de condition, qui l’interrogeait de ce qu’il lui faudrait faire pour hériter la vie éternelle : Tu fais les commandements, tu ne tueras point, tu ne commettras point adultère, tu ne déroberas point, tu ne diras point faux témoignage, honore ton père et ta mère (ce qui regarde l’obéissance) et ensuite, vends tout ce que tu as et le distribue aux pauvres, et tu auras un trésor au ciel, puis viens, et me suis (ce qui appartient à la foi et ne s’exécute point sans elle, Luc. 18. 20. Marc 10. 18). Et de ce qui est dit, le juste (remarquez que ce n’est pas qui que ce soit, mais seulement le juste) vivra de sa foi ; parce que la justice est une disposition de la volonté pareille à l’obéissance et à la repentance. Et des paroles de saint Marc, d’autant que le temps est accompli, et que Le règne de Dieu est approché, repentez-vous, et croyez à l’Évangile, qui montrent clairement que, pour entrer au royaume céleste, on n’a point besoin d’autres vertus que celles de la foi et de la repentance. De sorte que l’obéissance, qui est nécessairement requise au salut, n’est autre chose que la volonté que l’on a, ou l’effort que l’on fait, d’obéir et de vivre conformément à la loi divine, qui est la même que la loi morale connue de tout le monde, et aux lois civiles, c’est-à-dire aux édits des souverains en ce qui regarde le temporel, et aux constitutions de l’église en ce qui touche le spirituel : lesquelles deux sortes de lois sont diverses en divers États et en diverses églises ; mais que chacun connaît assez par la promulgation qui en est faite, et par les sentences qui en sont publiquement données.

IV. Afin de savoir ce que c’est que la foi chrétienne, il faut définir la foi en général, et la distinguer des autres actes de l’entendement avec lesquels on a accoutumé communément de la confondre. L’objet de la foi, prise en une signification générale, à savoir pour ce que l’on croit, est toujours une proposition (c’est-à-dire un discours qui nie ou qui affirme quelque chose) que nous accordons être vraie. Mais d’autant que l’on concède des propositions pour diverses raisons, il arrive que ces concessions sont diversement nommées. En effet, nous concédons donc quelquefois des propositions que nous ne recevons pourtant pas dans notre croyance. Et cela, ou pour un temps, à savoir jusqu’à ce qu’en ayant considéré toutes les conséquences, nous en puissions examiner la vérité ; ce qui se nomme supposer ; ou simplement et absolument, comme il arrive par la crainte des lois, ce qui est professer et confesser par des signes extérieurs ; ou par une volontaire obéissance que l’on rend à quelqu’un, ce que les personnes civiles pratiquent envers ceux qu’elles respectent et même envers ceux à qui elles ne défèrent pas beaucoup, afin d’éviter le bruit et de ne pas causer de la contestation, ce qui est proprement concéder quelque chose. Mais quant aux propositions que nous recevons pour vraies, nous les accordons toujours pour quelques raisons que nous en avons. Et nous puisons ces raisons, ou de la proposition même, ou de la personne qui l’avance. Nous les dérivons de la proposition même, en nous remettant en mémoire quelles choses signifient dans l’usage commun, et comment se prennent par le commun consentement, les noms dont la proposition est formée ; après quoi si nous l’accordons, c’est proprement savoir que de consentir en cette judicieuse manière. Que si nous ne pouvons pas nous ressouvenir de ce qu’on entend au vrai par ces termes-là, et qu’il nous semble tantôt que c’est une chose, et tantôt que c’en est une autre, alors notre certitude est une opinion, et ne passe pas les bornes de la vraisemblance. Par exemple, si l’on a proposé que deux et trois font cinq ; et si, repassant en notre mémoire l’ordre des noms qui servent à exprimer les nombres, nous trouvons que par le commun consentement de ceux qui sont de même langue (comme par une certaine convention nécessaire à la société humaine) il est ainsi ordonné, que le mot de cinq sera le nom de ces unités qui sont contenues dans les deux nombres de deux et de trois pris ensemble ; si, à cause de cela, dis-je, nous avouons que la proposition, deux et trois font cinq, est vraie, le consentement que nous lui donnerons méritera le titre de science. Et au fond, savoir cette vérité n’est autre chose que reconnaître que nous en sommes les auteurs. Car, de même qu’il a dépendu de notre fantaisie de nommer le nombre de 2 deux, celui de 3 trois, et celui de 5 cinq, le langage étant de l’invention des hommes ; aussi nous sommes demeurés d’accord, de notre propre mouvement, que cette proposition serait vraie, deux et trois joints ensemble font cinq. Pareillement si nous nous souvenons ce que c’est qu’on nomme larcin, et ce que c’est qu’injure, nous saurons bien par la signification de ces noms, s’il est vrai, ou non, que le larcin soit une injure. La vérité est la même chose qu’une proposition vraie, or, une proposition est vraie en laquelle le nom qui suit, et que les logiciens nomment l’attribut, embrasse dans l’étendue de sa signification le nom qui précède, et que les maîtres de l’art nomment le sujet. Et savoir une vérité n’est autre chose que nous ressouvenir de la manière en laquelle nous avons voulu que les termes se prissent, ce qui est prendre garde que nous en sommes les architectes. Ainsi ce ne fut pas sans beaucoup de raison qu’autrefois, Platon assura que le savoir était une réminiscence. Au reste, il arrive assez souvent que les paroles, bien qu’elles aient par notre ordre une signification certaine et définie, toutefois par l’usage ordinaire, sont tellement détournées de leur sens propre (soit qu’en cela on se soit étudié à orner la langue, ou qu’on ait eu dessein de tromper) qu’il est très difficile de rappeler en notre souvenir les conceptions pour lesquelles elles ont été inventées, et l’idée des choses qu’elles doivent représenter à notre mémoire ; mais il faut pour en venir à bout un jugement exquis, et une très grande diligence. Il arrive aussi qu’il y a quantité de mots sans signification propre ou déterminée, et généralement reçue, et que l’on n’entend point à cause de leur force, mais en vertu de quelques autres signes que l’on emploie en même temps. Enfin, il y a des noms qui sont donnés à des choses inconcevables ; si bien que nous n’avons aucune idée de ce dont ils portent le titre : c’est pourquoi nous recherchons en vain par le moyen des noms la vérité des propositions qu’ils composent. En tous ces cas, lorsque, considérant les définitions des termes, nous recherchons la vérité d’une proposition, tantôt nous la croyons véritable, tantôt nous la tenons pour fausse, suivant l’espérance que nous avons de la trouver. C’est penser, ou avoir opinion de quelque chose, ou même croire, que de se jeter dans l’un, puis dans l’autre de ces partis séparément ; mais c’est douter, que de les prendre tous deux en même temps, et d’embrasser également l’affirmation et la négative. Quand les raisons, pour lesquelles nous donnons notre consentement à quelque proposition, ne sont pas tirées d’elle-même, mais de la personne qui l’a mise en avant, comme si nous estimions qu’elle est si bien avisée qu’elle ne peut se méprendre, et si nous ne voyons point de sujet qu’elle voulût nous tromper, alors notre consentement se nomme foi, à cause qu’il ne naît pas de notre science particulière, mais de la confiance que nous avons en celle d’autrui ; et il est dit que nous croyons à ceux auxquels nous nous en rapportons. De tout ce discours l’on voit la différence qu’il y a, premièrement, entre la foi et la profession extérieure : car celle-là est toujours accompagnée d’une approbation intérieure ; et celle-ci en est quelquefois séparée ; celle-là est une intérieure persuasion de l’âme ; mais celle-ci n’est qu’une obéissance extérieure. Puis, entre la foi et l’opinion : car celle-ci est appuyée sur notre raisonnement, et l’autre sur l’estime que nous faisons d’autrui. Enfin, entre la foi et la science : car en celle-ci, une proposition qu’on examine est dissoute et mâchée longtemps avant qu’on la reçoive ; mais en l’autre, on l’avale tout d’un coup et tout entière. L’explication des noms, sous lesquels ce qu’on recherche est proposé, sert à acquérir la science, voire il n’y a que la seule voie des définitions par laquelle on puisse savoir quelque chose : mais en la foi, cette pratique est nuisible. Car les choses qui nous sont proposées à croire étant au-dessus de la portée de notre esprit, l’exposition ne les rendra jamais plus évidentes, et, au contraire, plus on tâche de les éclaircir, plus obscures et plus incroyables elles deviennent. Et il en prend à un homme qui tâche de démontrer les mystères de la foi par raisons naturelles, de même qu’à un malade qui veut mâcher des pilules, bonnes à la santé, mais amères, avant que les faire descendre dans son estomac ; car l’amertume les lui fera tout incontinent rejeter, et elles n’opéreront point, là où, s’il les eût promptement avalées, il n’en eût pas senti le mauvais goût et il en eût recouvré sa guérison.

V. Nous avons donc vu ce que c’est que croire en général. Voyons maintenant ce que c’est que croire en Christ en particulier, ou quelle proposition est l’objet de la foi en Christ. Car lorsque nous disons, je crois en Jésus-Christ, nous signifions bien à qui, mais nous n’exprimons pas ce que nous croyons. Or, croire en Christ n’est autre chose que croire que Jésus-Christ est le Christ, à savoir celui qui devait venir au monde pour rétablir le règne de Dieu, suivant que Moïse et les prophètes juifs l’avaient prédit. Cela est assez manifeste des paroles de Jésus-Christ même à la Marthe : Je suis, dit-il, la résurrection et la vie ; qui croit en moi, encore qu’il soit mort, vivra. Et quiconque vit et croit en moi, ne mourra jamais. Crois-tu cela ? Elle lui dit, oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu qui devait venir au monde, Jean Il. verset 25. 26. 27. Desquelles paroles nous apprenons que croire en moi est expliqué par : je crois que tu es le Christ. Donc croire en Christ n’est autre chose qu’ajouter foi à jésus lorsqu’il assure qu’il est le Christ.

VI. La foi et l’obéissance concourant toutes deux nécessairement au salut, j’ai fait voir ci-dessus, en l’article III, quelle est cette obéissance et à qui elle est due. Il faut maintenant rechercher quels sont les articles de foi qui y sont requis. Sur quoi je dis qu’il n’y a aucun autre article [1] que celui-ci, que jésus est le Christ, qui soit requis en un homme chrétien comme nécessaire au salut. Or, il faut distinguer, de même que ci-devant en l’article quatrième, entre la foi et la profession. Si donc la profession de plusieurs dogmes est commandée, elle peut être nécessaire ; car elle est une partie de l’obéissance due aux lois. Mais ici il n’est pas question de l’obéissance nécessaire au salut, et il ne s’agit que de la foi. je prouve mon assertion, premièrement, par le but des évangélistes, qui était, en décrivant la vie de notre Sauveur, d’établir ce seul article. Et nous verrons que tel a été le but et le dessein des évangélistes, si nous en remarquons l’histoire. Saint Matthieu, commençant par la généalogie de Christ, montre que Jésus était de la race de David ; qu’il naquit d’une vierge, chapitre 1. Qu’il fut adoré des mages comme roi des Juifs ; qu’à cause de cela Hérode le fit chercher pour le faire mourir, chapitre 2. Que Jean-Baptiste et lui-même aussi prêchèrent son règne, chapitres 3. 4. Qu’il exposa la loi, non à la façon des scribes, mais comme ayant autorité, chapitres 5. 6. 7. Qu’il guérit miraculeusement les maladies, chapitres 8. 9. Qu’il envoya des apôtres en toutes les contrées de la Judée pour annoncer son règne, chapitre 10. Que les disciples envoyés de Jean lui demandant s’il était le Christ, ou non, il leur répondit, qu’ils lui rapportassent ce qu’ils avaient vu, à savoir les miracles qui n’appartenaient qu’au Christ, chapitre 11. Qu’il déclara et prouva sa royauté aux pharisiens et aux autres par divers arguments, par des signes, des paraboles, chapitre 12 et suivants, jusqu’au 21. Qu’il fut salué comme roi entrant dans Jérusalem, chapitre 21. Qu’il soutint aux pharisiens qu’il était le Christ, qu’il avertit les autres des faux Christs, qu’il montra quelle était sa royauté par des paraboles, chapitres 22. 23. 24. 25. Qu’il fut pris et accusé sur ce qu’il se disait roi ; et que ce dicton fut écrit sur la croix : Celui-ci est Jésus le roi des juifs, chapitres 26. 27. Qu’enfin, après la résurrection, il dit aux apôtres : que toute puissance lui était donnée au ciel et en terre, chapitre 28. Toutes lesquelles choses tendent à nous persuader cette proposition que Jésus est le Christ. Tel donc était le but de saint Matthieu, en nous décrivant l’Évangile. Or, tel qu’était le sien, tel aussi était celui des autres évangélistes ; ce que saint Jean témoigne particulièrement à la fin de son Évangile, disant en paroles expresses, chapitres 20. 31 : Ces choses sont écrites, afin que vous croyiez que Jésus est Le Christ, le Fils de Dieu, et qu’en croyant vous ayez vie par son nom.

VII. Secondement, je prouve la même assertion par la prédication des apôtres : car ils étaient hérauts du royaume, et Christ ne les envoya pour prêcher autre chose que le royaume de Dieu, Luc, chapitre 9. vers. 2. Actes 15. 6. Et l’on peut conjecturer ce qu’ils ont fait après l’Ascension de Christ, par l’accusation qui est formée contre eux, Act. 17. vers. 7. Ils tirèrent, dit saint Luc, Jason et quelques frères vers les gouverneurs de la ville, citant, ceux-ci qui ont remué tout le monde sont aussi venus ici. Lesquels Jason a retirés chez soi, et eux tous sont contre le décret de César, disant, qu’il y a un autre roi, qu’ils nomment Jésus. Il appert aussi de ces paroles quel a été le sujet des prédications des apôtres, Actes 17, 3. Leur déclarant et proposant qu’il avait fallu que le Christ souffrît, et ressuscitât des morts ; et que ce Jésus était le Christ, suivant les Écritures du Vieux Testament.

VIII. En troisième lieu, par les passages où est déclarée la facilité des choses que Christ dit être requises au salut. Car, s’il était nécessairement requis au salut de l’âme une intérieure approbation de tous les points et de toutes les propositions particulières touchant les dogmes de la foi chrétienne qui sont aujourd’hui en controverse, ou qui sont diversement définies par diverses églises, il n’y aurait rien de plus difficile que la religion chrétienne. Comment donc serait vrai ce que dit le Seigneur, Matth. 11. 30. Mon joug est aisé, et mon fardeau est léger. Matthieu 18. 6. Les petits qui croient en moi. 1. Corinth. 1. 2 1. Le bon plaisir de Dieu a été de sauver les croyants par la folie de la prédication, ou comment est-ce que le bon larron, pendant à la croix, a pu être suffisamment instruit pour le salut, vu que sa confession était toute contenue en ces paroles : Seigneur, aie souvenance de moi quand tu viendras en ton règne ? Ou même saint Paul, comment est-ce qu’il a pu sitôt devenir docteur des chrétiens, d’ennemi et de persécuteur qu’il en était ?

IX. En quatrième lieu, de ce que cet article de foi est fondamental, et ne s’appuie point sur aucun autre qui lui serve de base. Si quelqu’un vous dit, voici, le Christ est ici, ou il est là, ne le croyez point, car faux Christs et faux Prophètes s’élèveront et feront de grands signes, etc. Matthieu 24. 23. D’où s’ensuit qu’à cause de la foi en cet article, il n’en faut point donner aux signes et aux miracles. Quand bien nous-mêmes, ou un ange du ciel vous évangéliserait, outre ce que nous avons évangélisé, qu’il soit exécration et anathème, dit saint Paul, écrivant aux Galates, chapitre 1. 8. Donc à cause de ce même article il ne faudrait point ajouter foi aux apôtres mêmes, ni aux anges (ni aussi à mon avis à l’église) s’ils nous enseignaient le contraire. Bien aimés, dit saint Jean le bien-aimé disciple, ne croyez point à tout esprit ; mais éprouvez les esprits s’ils sont de Dieu ; car plusieurs faux prophètes sont venus au monde. Connaissez par ceci l’esprit de Dieu - tout esprit qui confesse que Jésus-Christ est venu en chaire est de Dieu, etc. 1. Jean 4. Cet article donc est la mesure des esprits, suivant laquelle l’autorité des docteurs est reçue ou rejetée. Certes, on ne peut nier que tous les chrétiens qu’il y a aujourd’hui au monde n’aient appris de leurs docteurs, que c’est jésus qui a fait toutes les choses par lesquelles il a été reconnu pour le Messie ; mais pourtant il ne s’ensuit pas qu’ils doivent aux docteurs ou à l’église la croyance de ce point qu’ils ne doivent qu’à Jésus-Christ même. Car cet article est plus ancien que l’église chrétienne, bien que tous les autres lui soient postérieurs. Et l’église est fondée sur lui, plutôt que lui sur elle, Matthieu 16. 18. D’ailleurs, cet article est tellement fondamental, que saint Paul assure que tous les autres ont été bâtis sur lui. Personne (dit-il, 1. Corinth. 3. Il. 12. etc.) ne peut, poser autre fondement que celui qui est posé, lequel est Jésus-Christ. Que si quelqu’un édifie sur ce fondement, or, argent, pierres précieuses, bois, foin, chaume, l’œuvre d’un chacun sera manifestée par feu ? Et le feu éprouvera quelle sera l’œuvre d’un chacun. Si l’œuvre de quelqu’un qui aura édifié dessus demeure, il en recevra salaire. Si l’œuvre de quelqu’un brûle, il en fera perte : mais il sera sauvé, quant à lui, toutefois ainsi comme par feu. D’où il appert que par le fondement il entend cet article, Que Jésus est le Christ. Car, ce n’est pas sur la personne de Christ qu’on édifie, or, argent, bois, chaume, etc. qui sont toutes choses par lesquelles les doctrines sont signifiées. Et que des fausses doctrines peuvent être bâties sur ce fondement, sans que ceux qui les auront enseignées encourent la damnation éternelle.

X. Enfin, on peut prouver par une infinité de passages de l’Écriture sainte, dont le sens est fort aisé à tout le monde, que ce seul article doit être nécessairement reçu par la foi intérieure : Enquérez-vous diligemment des Écritures, car vous estimez avoir par icelles vie éternelle, et ce sont elles qui portent témoignage de moi, Jean 5. 39. Auquel endroit Christ n’entend parler que des Écritures du Vieux Testament ; car le Nouveau n’était point encore écrit. Or, il ne se trouve point d’autre témoignage de Christ dans le Vieux Testament, si ce n’est que le roi éternel viendrait, qu’il naîtrait en un tel lieu, et de tels parents, qu’il enseignerait et ferait telles choses, et qu’on le reconnaîtrait à tout cela comme à des marques infaillibles. Ce qui ne témoigne autre chose, sinon que jésus qui est né, qui a enseigné, et qui a vécu de la façon prédite, est véritablement le Christ. De sorte que la croyance d’aucun autre article n’est point nécessaire pour parvenir à la vie éternelle. Quiconque vit et croit en moi, ne mourra jamais, Jean 11. 25. Or, croire en jésus (comme il est expliqué en ce même lieu) n’est autre chose que croire que jésus est le Christ. Celui donc qui croit cela, ne mourra point éternellement, et par conséquent ce seul article est nécessaire au salut. Ces choses sont écrites, afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu’en croyant vous ayez vie éternelle en son nom, Jean 20. 31. Celui donc qui croit ainsi aura la vie éternelle et par conséquent il n’a pas besoin d’aucune autre foi. Tout esprit qui confesse que Jésus-Christ est venu en chaire, est de Dieu, 1. Jean 4. 2. Et tout esprit qui croit que jésus est le Christ, est né de Dieu, 1. Jean 5. 1. et là même : Qui est-ce qui a vaincu le monde, si ce n’est celui qui a cru que jésus est Fils de Dieu ? Si donc il n’y a autre chose à croire pour être de Dieu, pour être né de Dieu, et pour vaincre le monde, sinon que Jésus est le Christ, ce seul article suffit au salut éternel. Voici de Peau, dit l’Eunuque, qui est-ce qui empêche que je sois baptisé ? Philippe lui répondit, si tu crois de tout ton cœur, il est permis. L’Eunuque repartit, disant, je crois que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, Actes 8. 36. 37. Si donc ce seul article cru du fond du cœur, c’est-à-dire reçu par la foi intérieure, suffit pour être baptisé, il suffit aussi au salut. Il y a une infinité d’autres passages outre ceux-ci, où le même est clairement et très expressément enseigné. Voire partout où nous lisons que notre Sauveur a loué la foi de quelqu’un, ou qu’il a prononcé, va, ta foi t’a sauvé, ou qu’il a guéri quelqu’un à cause de sa foi ; la proposition, qui était l’objet de la croyance, n’était directement, ou en conséquence, point autre que celle-ci. Jésus est Le Christ.

XI. Mais, parce que personne ne peut croire que jésus est le Christ, qu’il ne croie aussi à Moïse et aux prophètes, sachant bien que par ce nom de Christ, on entend le roi qui avait été promis de Dieu par Moïse et par les prophètes, comme le souverain Maître et le Sauveur du monde ; et qu’on ne peut pas croire en ceux-ci, qu’on ne croie que Dieu existe et qu’il gouverne l’univers par sa providence ; il faut nécessairement que cette foi en Dieu, et au Vieux Testament, soit contenue en celle du Nouveau recueillie toute en ce seul article. Puis donc que sous le règne de Dieu par la nature, l’athéisme et la négation de la providence, étaient le seul crime de lèse-majesté divine ; et que sous le règne de l’ancienne alliance, l’idolâtrie était une autre espèce de semblable félonie ; maintenant, sous la nouvelle alliance, l’apostasie y est aussi ajoutée, comme étant une renonciation à la croyance de ce point, que Jésus est le Christ, que l’on avait auparavant embrassée. A la vérité, il ne faut pas s’amuser à contredire aux autres doctrines qui ont été définies par une église légitime, car ce serait commettre un péché de désobéissance. Mais au reste, j’ai fait voir amplement dans les articles qui précèdent, qu’il n’est pas nécessaire qu’on les croie d’une foi intérieure, ni qu’on les reçoive avec une persuasion entière et inébranlable.

XII. la foi et l’obéissance agissent d’une façon différente au salut du chrétien. Car celle-ci contribue la puissance et la capacité ; et l’autre donne l’acte et l’effet ; mais, et l’une et l’autre est dite justifier l’homme, chacune en sa manière. Aussi Christ ne remet pas les péchés à tous indifféremment, mais à ceux qui se repentent de leurs fautes ou qui lui obéissent, c’est-à-dire, aux gens de bien et aux justes (je ne dis pas aux personnes innocentes, mais aux justes, parce que la justice est la volonté d’obéir aux lois et qu’elle se peut rencontrer en un pécheur ; comme certes, notre Seigneur est si bon, qu’il tient la volonté d’obéir pour une obéissance effective) vu que ce n’est pas qui que ce soit, mais seulement le juste qui vivra de sa foi. L’obéissance donc justifie, en ce qu’elle rend une personne juste, de même que la tempérance fait un homme tempérant et maître de ses affections, que la prudence le rend prudent, que la chasteté le rend chaste, à savoir essentiellement ; et en ce qu’elles nous met en un état auquel nous sommes capables de recevoir le pardon de nos offenses. D’ailleurs, Christ n’a pas promis de pardonner à tous les justes leurs péchés, mais tant seulement à ceux qui croient qu’il est le Christ. La loi donc justifie de la même façon que l’on dit que le juge justifie le criminel en lui donnant son absolution ; c’est à savoir, en lui prononçant la sentence, dont il est actuellement délivré de la peine méritée. Et en ce sens du mot de justification (car ce terme est équivoque) la foi seule justifie ; mais en l’autre, c’est la seule obéissance. Néanmoins ce n’est ni la justice, ni l’obéissance seule, mais toutes deux ensemble qui nous sauvent.

XIII. De tout ce que nous avons allégué jusqu’ici il sera aisé de remarquer, quel est le devoir des citoyens fidèles, ou des sujets chrétiens envers les rois et les puissances souveraines. Certes, tandis qu’elles font profession du christianisme, elles ne peuvent commander à leurs vassaux de renier Jésus-Christ, ou de lui faire quelque outrage ; car si elles faisaient cet injuste commandement, elles renonceraient à la religion qu’elles professent. En effet, puisque j’ai fait voir, et par mes raisonnements naturels, et par la Sainte Écriture, qu’il faut que les sujets obéissent à leurs princes et à ceux qui les gouvernent en toutes choses, hormis en celles qui choquent les commandements de Dieu ; et que ces commandements, en ce qui concerne le temporel (c’est-à-dire, les choses qui doivent être examinées par la raison humaine), sont dans une république chrétienne, les lois et les ordonnances de l’État prononcées par ceux auxquels elle a donné l’autorité de faire des lois et de décider les controverses ; comme en ce qui regarde le spirituel (c’est-à-dire, ce qu’il faut déterminer par l’Écriture sainte), ces mêmes commandements sont aussi des lois et des constitutions de la république, c’est-à-dire de l’église (car j’ai démontré au chapitre précédent art. XX, que l’église et la république sont une même chose, là où est le christianisme), établies par des pasteurs dûment ordonnés, et qui ont reçu cette puissance de l’État ; il s’ensuit, dis-je, manifestement, qu’en une cité chrétienne on doit obéir au magistrat en toutes choses, tant aux spirituelles qu’aux temporelles. Mais parmi des souverains infidèles, et qui ne sont pas chrétiens, on doit bien la même obéissance en tout ce qui est du temporel et il est hors de doute que la religion chrétienne n’en exempte pas les sujets, quoiqu’en ce qui touche le spirituel, c’est-à-dire les choses qui appartiennent à la manière de servir Dieu, on est obligé de suivre la coutume de quelque église chrétienne. La raison de cela est, que c’est une hypothèse de la foi et que l’on suppose dans le christianisme, qu’aux choses surnaturelles Dieu ne parle aux hommes que par la bouche des fidèles interprètes de la Sainte Écriture. Quoi donc, est-il permis de résister aux princes lorsqu’il ne faut pas leur obéir ? Nullement : car cela est contraire à la fidélité promise et ne s’accorde pas avec le pacte de la société civile. Que faut-il donc faire ? Il faut aller à Christ par le martyre. Que si ce chemin semble bien rude à quelqu’un, il est très assuré qu’il ne croit point de tout son cœur, que Jésus est le Christ, le fils de Dieu vivant ; (car il souhaiterait d’être dissous afin de tant plutôt être avec lui) mais qu’il veut éluder le traité qu’il a fait d’obéir à l’État, sous prétexte de religion et se couvrant d’un faux zèle à la foi chrétienne.

XIV. Peut-être que quelqu’un s’étonnera, s’il est vrai qu’outre ce seul article, que 7ésus est le Christ, qui est nécessaire au salut et qui appartient à la loi intérieure, tous les autres ne regardent que l’obéissance, laquelle on peut rendre de vrai, bien qu’on ne croie pas du cœur tout ce qui est proposé par l’église, pourvu qu’on désire de croire et qu’on en fasse profession extérieure toutes fois et quantes qu’il en est de besoin ; d’où c’est qu’il est arrivé, qu’aujourd’hui il y a un si grand nombre de dogmes, que l’on dit tous si essentiels à la foi, que si une personne ne les croit intérieurement, elle ne peut entrer au royaume des cieux. Mais si le même considère, qu’en la plupart des controverses qui s’agitent avec tant de chaleur, les unes tendent à l’autorité du gouvernement et à l’établissement de la puissance humaine, les autres ont pour but le gain et l’acquisition des richesses, et que quelques-uns ne se proposent que la gloire de l’esprit, et la réputation d’une suffisance extraordinaire, il en verra diminuer le sujet de son étonnement. En effet, la question des propriétés de l’église, est une question qui regarde le droit de commander ; car, dès qu’on a découvert ce que c’est que l’église, on connaît par même moyen à qui c’est qu’il appartient de régir les chrétiens. Vu que si chaque république chrétienne est cette église à laquelle Jésus-Christ commande que tous les fidèles qui en sont sujets obéissent, chaque sujet est tenu d’obéir, non seulement en ce qui est du temporel, mais aussi en ce qui touche le spirituel, à l’État dans lequel il vit, c’est-à-dire à ceux qui y exercent la souveraine puissance. Et si ce n’est pas chaque république chrétienne en particulier qui soit cette église, il faut qu’il y en ait quelque autre plus universelle, à laquelle on doive rendre cette absolue obéissance. De sorte que tous les chrétiens lui doivent être soumis de même qu’ils le seraient à Jésus-Christ s’il revenait au monde. Or, ses commandements se feront ou par un monarque, ou par quelque assemblée. Si bien que cela tombe dans la question du droit de l’empire, C’est là même que tend celle de l’infaillibilité ; car celui que tout le genre humain croirait vraiment et intérieurement incapable d’errer, serait très assuré d’en avoir le gouvernement et dans le temporel et dans le spirituel, si ce n’est qu’il refusât une si vaste puissance, parce que s’il disait qu’il lui faut obéir, même en ce qui est du civil, on ne pourrait pas lui contester cette souveraineté, puisqu’on estime ses jugements infaillibles. C’est à la même fin que se rapporte le privilège d’interpréter les Écritures ; car celui à qui il appartient de décider les controverses qui peuvent naître des diverses expositions des Écritures, a le pouvoir de terminer absolument toutes les disputes. Or, celui qui a une telle autorité, a sans contredit un grand empire sur tous ceux qui reconnaissent les Écritures saintes pour la vraie parole de Dieu. A cela même tend la question touchant la puissance de remettre et de retenir les péchés, ou touchant le pouvoir d’excommunier. Car il n’y a personne, s’il ne manque de sens commun, qui n’obéisse absolument à celui duquel il croit que dépende son salut, ou sa damnation éternelle. C’est à cela même que regarde la puissance d’instituer des ordres et des sociétés : car ceux qui entrent dépendent du fondateur, puisque c’est par lui qu’ils subsistent, et il a autant de sujets qu’il y a de moines qui embrassent sa religion, quoiqu’ils demeurent dans une république ennemie. C’est à cela que vise la question du juge de mariages légitimes, parce que celui à qui il appartient de juger de ces matières, doit connaître aussi des causes qui concernent les héritages et les successions en tous les biens et droits, non seulement des particuliers, mais aussi des plus grands princes. A cela même tend en quelque façon le célibat des ecclésiastiques, car ceux qui ne sont pas liés par le mariage, sont moins attachés que les autres aux corps de la république. Outre que c’est un inconvénient qui n’est pas à mépriser, que les princes sont par là obligés de renoncer au sacerdoce (qui est un puissant lien de l’obéissance civile), ou de se résoudre à ne posséder point un royaume héréditaire. C’est là aussi que vient aboutir la canonisation des saints, que les païens ont nommée l’apothéose. Car celui qui peut attirer les sujets d’un prince étranger par une si grande récompense, peut aisément induire ceux qui désireront une telle gloire à oser tout entreprendre. En effet, qu’est-ce que les Décies et les autres Romains qui se sont dévoués pour leur pays, et qu’une infinité d’autres qui se sont précipités en des dangers incroyables, ont recherché par leurs généreuses résolutions, si ce n’est un honneur et une gloire immortelle en la bouche de la postérité ? Les controverses touchant le purgatoire et les indulgences sont pour le gain. Celles du franc-arbitre, de la justification, et de la manière de recevoir Christ dans le sacrement de l’eucharistie, sont des questions philosophiques. Outre lesquelles il y en a je ne sais combien d’autres sur des coutumes et des cérémonies, qui n’ont pas tant été introduites, comme elles ont été laissées dans l’église moins purgée des façons de faire du paganisme. Mais il n’est pas nécessaire que je m’arrête à en faire ici une longue énumération. Tout le monde sait que les hommes sont portés naturellement à se dire des injures, et à fulminer par des anathèmes les uns contre les autres, lorsqu’ils ne sont pas bien d’accord en des questions où il s’agit de la puissance, du gain, ou de l’excellence de l’esprit. De sorte que ce n’est pas de merveille, si les uns ou les autres, après qu’ils se sont échauffés dans la dispute, disent de presque tous les dogmes, qu’ils sont nécessaires pour entrer au royaume de Dieu ; et si non seulement ils accusent d’opiniâtreté (dont certes on est coupable lorsque la décision de l’église y est intervenue) ceux qui ne les veulent point avouer : mais encore s’ils les condamnent et les détectent comme atteints et convaincus du crime d’infidélité. Ce qui pourtant est faux, et en quoi j’ai fait voir que leur procédé était injuste, par le témoignage évident de plusieurs passages de l’Écriture sainte ; auxquels j’ajoute celui de l’apôtre saint Paul au quatorzième chapitre de son Épître aux Romains, après lequel il est temps que je finisse, et que je me repose un peu de la peine que j’ai prise à traiter assez curieusement des matières fort difficiles : Que celui qui mange sans scrupule, ne fasse pas si peu de compte du salut de celui qui s’abstient de certaines choses, que de le scandaliser par sa liberté. Que celui aussi qui fait distinction des viandes, ne condamne point celui qui mange indifféremment de toutes. Sachons que Dieu a communiqué ses grâces et la liberté de son esprit à celui que tu juges profane à cause qu’il se dispense de ce que tu observes si religieusement, etc. Or, comme ce n’est pas en ces choses que consiste le christianisme, je permets à chacun de suivre son opinion, et le sentiment de sa conscience. L’intention des uns et des autres est bonne, c’est pourquoi je ne veux pas condamner leur action.

[1Remarque : [Aucun autre article, etc.] J’ai estimé nécessaire d’expliquer un peu plus au long cette assertion, de laquelle je vois bien que la nouveauté Pourra déplaire à la plupart des théologiens, quoique je l’aie assez confirmée par les raisons que j’ai mises ensuite. Premièrement donc, lorsque je dis que cet article, que jésus est le Christ, est seul nécessaire au salut, je ne dis pas, que la foi seule soit nécessaire pour être sauvé, mais je demande en outre, la justice ou l’obéissance due aux lois divines, c’est-à-dire, la volonté de bien vivre. Secondement, je ne nie point que la profession de plusieurs autres articles ne soit nécessaire au salut, si elle est commandée de l’église. Mais la foi étant interne, et la profession extérieure, je nomme celle-là proprement foi, et tiens l’autre pour une partie de l’obéissance, de sorte que ce point-là suffit bien seul à la foi intérieure, mais non pas à la profession du chrétien. Enfin, de même que si j’eusse dit, que du côté de la justice, la vraie et intérieure repentance des péchés est seule nécessaire au salut, on n’eût pas tenu cela pour un paradoxe ; parce que j’eusse entendu, que la justice, l’obéissance et une âme disposée à pratiquer toutes les vertus en une sérieuse réformation de vie, fussent contenues dans la pénitence. Ainsi, quand je dis que la foi en un seul article suffit au salut, il ne faut pas s’en étonner, puisque sous ce point j’en comprends un si grand nombre d’autres. Car ces paroles, jésus est le Christ, signifient que Jésus est celui dont Dieu avait promis par les prophètes la venue au monde afin de rétablir son règne, c’est-à-dire que Jésus est le Fils de Dieu, créateur du ciel et de la terre, né de la vierge, mort pour les péchés de ceux qui croiront en lui ; qu’il est le Christ, c’est-à-dire le roi, qu’il est ressuscité (car autrement il ne devrait pas régner) ; qu’il jugera le monde et rendra à chacun selon ses oeuvres (car autrement il ne pourrait pas être roi) ; que les hommes aussi ressusciteront (car autrement ils ne pourraient pas être jugés). Si bien que dans ce seul article tout le symbole des apôtres y est compris. Et j’ai pensé d’en faire cet abrégé ; parce que je remarque qu’en vertu de ce seul point, sans tous les autres que l’on en tire par conséquence, plusieurs personnes ont été admises, par Jésus-Christ et par ses apôtres, au royaume de Dieu ; comme entre autres le bon larron en la croix, l’eunuque que Philippe baptisa, et deux mille âmes que saint Pierre reçut en une seule fois en la communion de l’église. Au reste, si quelques-uns trouvent à redire à ceci, que je n’estime pas que tous ceux-là doivent être damnés éternellement, qui ne prêtent pas un consentement intérieur à quelque article que l’église a défini, et qui cependant n’y contredisent pas, mais qui l’accordent, si on le leur commande, je ne saurais que faire à cela pour leur complaire.

Car de changer d’avis, les témoignages évidents de l’Écriture sainte que je vais ajouter m’en empêchent.