Seul le messie lui-même achève tout devenir historique, en ce sens que seul il rachète, achève, crée la relation de ce devenir avec l’élément messianique lui-même. C’est pourquoi aucune réalité historique ne peut d’elle-même vouloir se rapporter au plan messianique. C’est pourquoi le royaume de Dieu n’est pas le telos de la dunamis historique ; il ne peut être posé comme but. Historiquement, il n’est pas un but il est un terme. C’est pourquoi l’ordre du profane ne peut être bâti sur l’idée du royaume de Dieu, c’est pourquoi la théocratie n’a pas un sens politique, mais seulement un sens religieux. Le plus grand mérite de L’Esprit de l’utopie de Bloch est d’avoir vigoureusement refusé toute signification politique à la théocratie.

L’ordre du profane doit s’édifier sur l’idée de bonheur. La relation de cet ordre avec l’élément messianique est l’un des enseignements essentiels de la philosophie de l’histoire. Cette relation conditionne en effet une conception mystique de l’histoire, dont le problème se peut exposer en une image. Si l’on représente par une flèche le but vers lequel s’exerce la dunamis du profane, par une autre flèche la direction de l’intensité messianique, assurément la quête du bonheur de la libre humanité tend à s’écarter de cette orientation messianique ; mais de même qu’une force peut, par sa trajectoire, favoriser l’action d’une autre force sur une trajectoire opposée, ainsi l’ordre profane du profane peut favoriser l’avènement du royaume messianique. Si le profane n’est donc pas une catégorie de ce royaume, il est une catégorie, et parmi les plus pertinentes, de son imperceptible approche. Car dans le bonheur tout ce qui est terrestre aspire à son anéantissement, mais c’est seulement dans le bonheur que cet anéantissement lui est promis. - Même s’il est vrai que l’intensité messianique immédiate du cœur, de chaque individu dans son être intérieur, s’acquiert à travers le malheur, au sens de la souffrance. Au mouvement spirituel de la restitutio in integrum qui conduit à l’immortalité, correspond une restitutio séculière qui conduit à l’éternité d’un anéantissement, et le rythme de cette réalité séculière éternellement évanescente, évanescente dans sa totalité, évanescente dans sa totalité spatiale, mais aussi temporelle, le rythme de cette nature messianique est le bonheur. Car messianique est la nature de par son éternelle et totale évanescence.

Rechercher cette évanescence, même pour ces niveaux de l’homme qui sont nature, telle est la tâche de la politique mondiale, dont la méthode se doit appeler nihilisme.