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Miette 8 : Alain, La règle du beau

27 avril 2020, 16:54, par jld

Quelques remarques d’explication de ce passage :

Il faut dans un premier temps se souvenir de trois conseils de méthode :

  • lorsque vous recherchez le PLAN (la DÉMARCHE ARGUMENTATIVE) d’un texte, il faut hiérarchiser les idées, et distinguer l’idée principale ou la THÈSE du texte, des idées secondaires (les arguments) ;
  • tout d’abord, lorsque vous recherchez la THÈSE d’un texte, habituellement (ce n’est pas toujours le cas, mais c’est assez régulier), vous la trouverez soit au début du passage à expliquer, soit à la fin.
  • quand un texte établit une DISTINCTION, c’est qu’il cherche à préciser le sens d’un terme (c’est un travail CONCEPTUEL), à en proposer une DÉFINITION.
    Distinguer ⇒ Définir

1ère partie du texte :le premier terme de la distinction : caractérisation de la production artisanale, c’est-à-dire de la technique.

« Il reste à dire maintenant en quoi l’artiste diffère de l’artisan. Toutes les fois que l’idée précède et règle l’exécution, c’est industrie. Et encore est-il vrai que l’œuvre souvent, même dans l’industrie, redresse l’idée en ce sens que l’artisan trouve mieux qu’il n’avait pensé dès qu’il essaye ; en cela il est artiste, mais par éclairs. Toujours est-il que la représentation d’une idée dans une chose, je dis même d’une idée bien définie comme le dessin d’une maison, est une œuvre mécanique seulement, en ce sens qu’une machine bien réglée d’abord ferait l’œuvre à mille exemplaires ».

Ce passage était facile à expliquer, puisqu’il suffisait d’utiliser les éléments présents dans le cours :

Est-ce la nécessité qui pousse l’homme à travailler, II , §1 : Tableau I/L + Marx, a&a
Est-ce la nécessité qui pousse l’homme à travailler, II, §2 : « La dialectique M/S »
Est-ce la nécessité qui pousse l’homme à travailler, III : la division technique du travail

Ceci permettait d’expliquer qu’Alain caractérise le mode opératoire humain (la technique) en le dissociant de la nature (cf. sur ce point le Tableau I/L).

2ème partie du texte : la distinction artiste/artisan.

« Pensons maintenant au travail du peintre de portait ; il est clair qu’il ne peut avoir le projet de toutes les couleurs qu’il emploiera à l’œuvre qu’il commence ; l’idée lui vient à mesure qu’il fait ; il serait même rigoureux de dire que l’idée lui vient ensuite, comme au spectateur, et qu’il est spectateur aussi de son œuvre en train de naître. Et c’est là le propre de l’artiste. Il faut que le génie ait la grâce de la nature et s’étonne lui-même ».

Il s’agit maintenant, sur la base de la caractérisation précédente, de distinguer le mode opératoire de l’artiste (distinguer l’artiste de l’artisan). Or pour cela, l’essentiel, qu’il fallait voir, était cette idée paradoxale (au regard de la caractérisation antérieure de l’activité humaine, que l’artiste est un humain qui agit sans avoir au préalable la représentation anticipée de la fin qu’il vise : l’objet qu’il est en train de « fabriquer ».

Or en ce sens, il « agit » un peu comme un animal qui serait régit par l’instinct, ou comme n’importe quel phénomène naturel (cf. sur ce point le C.G. Est-ce la nécessité qui pousse l’homme à travailler, II , §1 : Tableau I/L). La production par l’artiste de on œuvre a quelque chose de « spontané », comme les phénomène naturels, alors qu’il est un être humain produisant quelque chose (point commun avec l’artisan) : il a appris (inné ≠ acquis) sont art (le musicien la peinture, le sculpteur la sculpture, le musicien la musique, etc.), il travaille, et pourtant son activité ressemble à celle de la nature. On réfléchit alors sur TROIS idées : nature / technique/art.

Autrement dit, et c’est maintenant que la THÈSE, que l’idée qu’Alain cherche à nous faire comprendre, apparaît : l’artiste est lui-même à l’égard de sont œuvre comme le spectateur, c’est-à-dire comme nous. Ce qui veut dire qu’à la différence de l’artisan, « son » œuvre lui semble étrangère : il la découvre au fur et à mesure qu’il la produit.

Or ceci amène une nouvelle différence, implicite, mais essentielle (et que nous avions rencontré avec l’analyse de la force de travail chez Marx : Est-ce la nécessité qui pousse l’homme à travailler, I , §1). En effet, si le rapport que nous entretenons avec les objets techniques est un rapport d’usage : nous utilisons ces objets, cela implique qu’à proprement parler nous ne les regardons pas (sauf exception), nous ne les contemplons pas. Il faut aller un eu plus loin en voyant que le rapport d’usage exclut la contemplation. Par exemple, quand j’écris, je ne suis pas attentif à mon stylo, mais à la phrase que je trace, quand je conduis… je ne contemple pas ma voiture. Je cesse d’utiliser les objets quand je commence à les contempler pour eux-mêmes. Or il en est de même du technicien : si son idée est bien conçue, alors il peut – presque cesser d’être attentif à l’objet particulier qu’il est en train de produire : son activité peut être remplacée par une machine.
Au contraire, ce qui caractérise l’ouvre d’art c’est qu’elle convoque l’attention, le regard ou l’écoute : la contemplation, et cela autant de la part de son producteur – l’artiste – que de la part de son spectateur ultérieur. Le texte d’Alain attire notre attention sur cette sphère de l’expérience humaine qui est celle de la contemplation (opposée à l’usage) sollicitée par certaine objets. C’est cette expérience qui est celle de la beauté, que nomme la dernière partie du texte.

3ème partie du texte : l’expérience de la beauté

« Un beau vers n’est pas d’abord en projet, et ensuite fait ; mais il se montre beau au poète ; et la belle statue se montre belle au sculpteur à mesure qu’il la fait ; et le portrait naît sous le pinceau (…).(…) Ainsi la règle du beau n’apparaît que dans l’œuvre et y reste prise, en sorte qu’elle ne peut servir jamais, d’aucune manière, à faire une autre œuvre. »

La beauté d’une œuvre se trouve donc caractérisée par ceci qu’elle appelle de notre part autre chose qu’une utilisation en vue de notre satisfaction (usage égoïste) : nous sommes attentifs à sa singularité (à ce qui la distingue de toute autre chose). Au contraire face à un objet technique dont on ne considère que l’utilité (un MOYEN en vue d’une FIN), de même que le technicien ne le considère que comme un exemplaire (cf. 1ère partie du texte : une matérialisation ou objectivation de l’idée) nous le considérons comme un exemplaire susceptible d’être remplacé par un autre : on change de stylo lorsque qu’il ne fonctionne plus, etc. Une œuvre belle est au contraire une œuvre qui, se caractérisant, par sa particularité (regardée pour elle-même, ce qui nous touche est ce qui n’appartient qu’à elle, ce qu’elle ne partage avec rien d’autre : par exemple, deux interprétation de la « même » chanson… ne sont justement pas la même chanson.

En ce sens, dans l’expérience de la beauté (qui est la découverte, en nous, d’une certaine façon de regarder les choses, et de ne plus les utiliser) est proche de l’expérience morale : voyez le rapport avec la question de la dignité de la personne humaine dans le cours sur la morale.

Ce point a été développé par Étienne Souriau : http://www.caute.lautre.net/L-oeuvre-d-art-ressemble-a-la-personne-humaine

Nous poursuivrons cette réflexion sur la beauté avec deux philosophes : David Hume et Emmanuel Kant !

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