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TEXTE 5 - Bergson

30 septembre 2020, 21:46, par jld

TEXTE COMPLÉMENTAIRE

« Mais nous avons pris l’individu à l’état isolé, sans tenir compte de la vie sociale. En réalité, l’homme est un être qui vit en société. S’il est vrai que l’intelligence humaine vise à fabriquer, il faut ajouter qu’elle s’associe, pour cela et pour le reste, à d’autres intelligences. Or, il est difficile d’imaginer une société dont les membres ne communiquent pas entre eux par des signes. Les sociétés d’Insectes ont sans doute un langage, et ce langage doit être adapté, comme celui de l’homme, aux nécessités de la vie en commun. Il fait qu’une action commune devient possible. Mais ces nécessités de l’action commune ne sont pas du tout les mêmes pour une fourmilière et pour une société humaine. Dans les sociétés d’Insectes, il y a généralement polymorphisme, la division du travail est naturelle, et chaque individu est rivé par sa structure à la fonction qu’il accomplit. En tout cas, ces sociétés reposent sur l’instinct, et par conséquent sur certaines actions ou fabrications qui sont plus ou moins liées à la forme des organes. Si donc les Fourmis, par exemple, ont un langage, les signes qui composent ce langage doivent être en nombre bien déterminé, et chacun d’eux rester invariablement attaché, une fois l’espèce constituée, à un certain objet ou à une certaine opération. Le signe est adhérent à la chose signifiée. Au contraire, dans une société humaine, la fabrication et l’action sont de forme variable, et, de plus, chaque individu doit apprendre son rôle, n’y étant pas prédestiné par sa structure. Il faut donc un langage qui permette, à tout instant, de passer de ce qu’on sait à ce qu’on ignore. Il faut un langage dont les signes — qui ne peuvent pas être en nombre infini — soient extensibles à une infinité de choses. Cette tendance du signe à se transporter d’un objet à un autre est caractéristique du langage humain. On l’observe chez le petit enfant, du jour où il commence à parler. Tout de suite, et naturellement, il étend le sens des mots qu’il apprend, profitant du rapprochement le plus accidentel ou de la plus lointaine analogie pour détacher et transporter ailleurs le signe qu’on avait attaché devant lui à un objet. « N’importe quoi peut désigner n’importe quoi », tel est le principe latent du langage enfantin. On a eu tort de confondre cette tendance avec la faculté de généraliser. Les animaux eux-mêmes généralisent, et d’ailleurs un signe, fût-il instinctif, représente toujours, plus ou moins, un genre. Ce qui caractérise les signes du langage humain, ce n’est pas tant leur généralité que leur mobilité. Le signe instinctif est un signe adhérent, le signe intelligent est un signe mobile. » (Bergson, L’évolution créatrice)

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