Cette étrange province du Tiers-Monde, ou peut-être d’un « Deuxième-Monde » du socialisme réel ou soviétique en crise, propose un phénomène de fuite : non plus une fuite face à la guerre civile, mais l’étrange figure post-moderne d’une recherche de travail, de richesse et de culture vers lesquels aller. Cette île étrange, ce bizarre pays qu’est l’Albanie - complètement coupé du monde pendant si longtemps, ligoté en permanence par des idéologies et des structures administratives aberrantes -, au moment où il se libère, ne part plus à la recherche de l’État, de la constitution d’un État, mais simplement à la recherche de la liberté : les Albanais partent tous en bateau. Qu’arrive-t-il alors ? Pour réguler cette force de travail et la bloquer, pour empêcher les arrivées en masse qui déséquilibrent les marchés et les pays au capitalisme avancé, on tente à tout prix, de l’extérieur et par la force, de restaurer l’État. Ce que vit actuellement l’Albanie, c’est un paradoxe qui me semble assez intéressant. Cela dit, il y a eu, au cours de l’histoire du capitalisme, d’autres moments où la nécessité de jouer sur une très forte mobilité de la force de travail et la nécessité de réussir à la réguler se sont croisées. Toute l’accumulation capitaliste est passée par cette version de Charybde et Scylla, par cette alternative. Dans le cas albanais, on tentera sans doute des formes intermédiaires de blocage des populations, comme cela a été le cas en particulier en Angleterre, au début de l’histoire du capitalisme, avec les lois sur les pauvres : des lois qui cherchaient essentiellement à arrêter les flux de la force de travail.