EI - Proposition 10 - scolie

  • 2 avril 2004

Par là il apparaît qu’encore bien que deux attributs soient conçus comme réellement distincts, c’est-à-dire l’un sans le secours de l’autre, nous ne pouvons en conclure cependant qu’ils constituent deux êtres, c’est-à-dire deux substances différentes, car il est de la nature d’une substance que chacun de ses attributs soit conçu par soi ; puisque tous les attributs qu’elle possède ont toujours été à la fois en elle et que l’un ne peut être produit par l’autre, mais que chacun exprime la réalité ou l’être de la substance. Il s’en faut donc de beaucoup qu’il y ait absurdité à rapporter plusieurs attributs à une même substance ; il n’est rien, au contraire, dans la nature de plus clair que ceci : chaque être doit être conçu sous un certain attribut et, à proportion de la réalité ou de l’être qu’il possède, il a un plus grand nombre d’attributs qui expriment et une nécessité, autrement dit une éternité et une infinité ; et conséquemment aussi que ceci : un être absolument infini doit être nécessairement défini (comme il est dit dans la Définition 6) un être qui est constitué par une infinité d’attributs dont chacun exprime une certaine essence éternelle et infinie. Si l’on demande maintenant à quel signe nous pourrons donc reconnaître la diversité des substances, qu’on lise les Propositions suivantes : elles montrent qu’il n’existe dans la nature qu’une substance unique et qu’elle est absolument infinie, ce qui fait qu’on chercherait vainement un tel signe. [*]


Ex his apparet quod quamvis duo attributa realiter distincta concipiantur hoc est unum sine ope alterius, non possumus tamen inde concludere ipsa dua entia sive duas diversas substantias constituere ; id enim est de natura substantiæ ut unumquodque ejus attributorum per se concipiatur quandoquidem omnia quæ habet attributa, simul in ipsa semper fuerunt nec unum ab alio produci potuit sed unumquodque realitatem sive esse substantiæ exprimit. Longe ergo abest ut absurdum sit uni substantiæ plura attributa tribuere ; quin nihil in natura clarius quam quod unumquodque ens sub aliquo attributo debeat concipi et quo plus realitatis aut esse habeat eo plura attributa quæ et necessitatem sive æternitatem et infinitatem exprimunt, habeat et consequenter nihil etiam clarius quam quod ens absolute infinitum necessario sit definiendum (ut definitione 6 tradidimus) ens quod constat infinitis attributis quorum unumquodque æternam et infinitam certam essentiam exprimit. Si quis autem jam quærit ex quo ergo signo diversitatem substantiarum poterimus dignoscere, legat sequentes propositiones, quæ ostendunt in rerum natura non nisi unicam substantiam existere eamque absolute infinitam esse, quapropter id signum frustra quæreretur.


[*(Saisset) : On voit par là que deux attributs, quoiqu’ils soient conçus comme réellement distincts, c’est-à-dire l’un sans le secours de l’autre, ne constituent pas cependant deux êtres ou deux substances diverses. Il est en effet de la nature de la substance que chacun de ses attributs se conçoive par soi ; et tous cependant ont toujours été en elle, et l’un n’a pu être produit par l’autre ; mais chacun exprime la réalité ou l’être de la substance. Il s’en faut beaucoup, par conséquent, qu’il y ait de l’absurdité à rapporter plusieurs attributs à une seule substance. N’est-ce pas, au contraire, la chose la plus claire du monde que tout être se doit concevoir sous un attribut déterminé, et que, plus il a de réalité ou d’être, plus il a d’attributs qui expriment la nécessité ou l’éternité et l’infinité de sa nature ? Et, par conséquent, n’est-ce pas aussi une chose très-claire que l’on doit définir l’être absolument infini (comme on l’a fait dans la Déf. 6). Savoir : l’être à qui appartiennent une infinité d’attributs, dont chacun exprime une essence éternelle et infinie ? Que si quelqu’un demande quel sera donc le signe par lequel on pourra reconnaître la diversité des substances, il n’a qu’à lire les propositions suivantes, lesquelles établissent qu’il n’existe dans la nature des choses qu’une seule et unique substance, et que cette substance est absolument infinie ; et il verra de cette façon que la recherche d’un tel signe est parfaitement inutile.

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