EIV - Proposition 1 - scolie

  • 23 mai 2004

Cette Proposition se connaît plus clairement par le Corollaire 2 de la Proposition 16, Partie II. Car une imagination est une idée qui indique plutôt l’état du Corps humain que la nature du corps extérieur, non distinctement à la vérité, mais confusément ; par où il arrive que l’Âme est dite errer. Quand par exemple nous regardons le soleil, nous imaginons qu’il est distant de nous d’environ deux cents pieds ; en quoi nous nous trompons aussi longtemps que nous ignorons sa vraie distance ; mais, quand elle est connue, l’erreur certes est ôtée, mais non l’imagination, laquelle explique la nature du soleil en tant qu’elle affecte le corps ; et ainsi, bien que connaissant sa vraie distance, nous n’imaginerons pas moins qu’il est proche de nous. Comme nous l’avons dit en effet dans le Scolie de la Proposition 35, Partie II, nous n’imaginons pas le soleil proche parce que nous ignorons sa vraie distance, mais parce que l’Âme conçoit la grandeur du soleil d’une façon qui est en rapport avec l’affection venue au Corps de lui. De même, quand les rayons du soleil, tombant sur la surface de l’eau, parviennent à nos yeux après réflexion, nous l’imaginons comme s’il était dans l’eau, encore que sachant le lieu où il est vraiment ; et les autres imaginations par où l’Âme est trompée, qu’elles indiquent l’état naturel du Corps, ou qu’elles indiquent soit un accroissement, soit une diminution de sa puissance d’agir, ne sont pas contraires au vrai et ne s’évanouissent pas par sa présence. Il arrive bien, quand nous avons à faux peur de quelque mal, que la peur s’évanouisse à l’ouie d’une nouvelle vraie ; mais il arrive aussi, en revanche, quand nous avons peur d’un mal dont la venue est certaine, que la peur s’évanouisse aussi à l’ouïe d’une nouvelle fausse, et ainsi les imaginations ne s’évanouissent pas par la présence du vrai, en tant que vrai, mais parce qu’il s’en offre de plus fortes qui excluent l’existence présente des choses que nous imaginons, comme nous l’avons montré Proposition 17, Partie II. [*]


Intelligitur hæc propositio clarius ex II corollario propositionis 16 partis II. Nam imaginatio idea est quæ magis corporis humani præsentem constitutionem quam corporis externi naturam indicat, non quidem distincte sed confuse ; unde fit ut mens errare dicatur. Exempli gratia cum solem intuemur, eundem ducentos circiter pedes a nobis distare imaginamur, in quo tamdiu fallimur quamdiu veram ejus distantiam ignoramus sed cognita ejusdem distantia tollitur quidem error sed non imaginatio hoc est idea solis quæ ejusdem naturam eatenus tantum explicat quatenus corpus ab eodem afficitur adeoque quamvis veram ejusdem distantiam noscamus, ipsum nihilominus prope nobis adesse imaginabimur. Nam ut in scholio propositionis 35 partis II diximus, non ea de causa solem adeo propinquum imaginamur quia ejus veram distantiam ignoramus sed quia mens eatenus magnitudinem solis concipit quatenus corpus ab eodem afficitur. Sic cum solis radii aquæ superficiei incidentes ad nostros oculos reflectuntur, eundem perinde ac si in aqua esset, imaginamur tametsi verum ejus locum noverimus et sic reliquæ imaginationes quibus mens fallitur, sive eæ naturalem corporis constitutionem sive quod ejusdem agendi potentiam augeri vel minui indicant, vero non sunt contrariæ nec ejusdem præsentia evanescunt. Fit quidem cum falso aliquod malum timemus, ut timor evanescat audito vero nuntio sed contra etiam fit cum malum quod certe venturum est, timemus ut timor etiam evanescat audito falso nuntio atque adeo imaginationes non præsentia veri quatenus verum evanescunt sed quia aliæ occurrunt iis fortiores quæ rerum quas imaginamur, præsentem existentiam secludunt, ut propositione 17 partis II ostendimus.


[*(Saisset :) Cette proposition se conçoit plus clairement encore par le Coroll. 2 de la Propos. 16, part. 2. Car une image, c’est une idée qui marque la constitution présente du corps humain bien plus que la nature des corps extérieurs ; et cela, non pas d’une manière distincte, mais avec confusion. Voilà l’origine de l’erreur. Lorsque, par exemple, nous regardons le soleil, notre imagination nous dit qu’il est éloigné de nous de deux cents pieds environ ; et cette erreur persiste en nous tant que nous ignorons la véritable distance de la terre au soleil. Cette distance connue détruit l’erreur, mais elle ne détruit pas l’image que se forment nos sens, c’est-à-dire cette idée du soleil qui n’en exprime la nature que relativement à l’affection de notre corps ; de telle sorte que tout en connaissant fort bien la vraie distance qui nous sépare du soleil, nous continuons à l’imaginer près de nous. Ce n’est pas, en effet, ainsi que nous l’avons dit dans le Scol. de la Propos. 35, part. 2, parce que nous ignorons la vraie distance où nous sommes du soleil, que nous l’imaginons près de nous ; c’est parce que l’âme ne conçoit la grandeur du soleil qu’en tant que le corps en est affecté. Ainsi, quand les rayons du soleil, tombant sur la surface de l’eau, se réfléchissent vers nos yeux, nous nous représentons le soleil comme s’il était dans l’eau, bien que nous sachions le lieu véritable qu’il occupe. Et de même, toutes les autres images qui trompent notre âme, soit qu’elles marquent la constitution naturelle de notre corps, soit qu’elles indiquent l’augmentation ou la diminution de sa puissance d’agir, ne sont jamais contraires à la vérité, et ne S’évanouissent pas à sa présence. Du reste, s’il arrive, quand nous sommes sous l’empire d’une fausse crainte, que des nouvelles vraies que nous recevons la fassent évanouir, il arrive aussi, quand nous redoutons un mal qui doit certainement arriver, que de fausses nouvelles dissipent nos appréhensions. Et, par conséquent, ce n’est pas la présence du vrai, en tant que vrai, qui détruit les impressions de l’imagination ; ce sont des impressions plus fortes, qui, de leur nature, excluent l’existence des choses que l’imagination nous représentait, comme nous l’avons montré dans la Propos. 17, part. 2.

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