EIV - Proposition 58 - scolie

  • 23 juin 2004

Ce qu’on appelle la vaine Gloire est un contentement de soi alimenté par la seule opinion de la foule ; cette opinion n’étant plus, le contentement lui-même disparaît, c’est-à-dire (Scolie de la Prop. 52) ce bien suprême aimé de tous ; de là vient que celui qui ne tire de gloire que de l’opinion de la foule, tourmenté d’une crainte quotidienne, s’efforce, s’agite et se donne du mal pour conserver son renom. La foule, en effet, est changeante et inconstante, par suite si le renom n’est pas entretenu, bientôt il s’évanouit ; bien plus, comme tous désirent capter les applaudissements de la foule, chacun rabaisse volontiers le renom d’autrui. Par suite, comme il s’agit d’une lutte pour ce qui est estimé le bien suprême, un furieux appétit prend naissance de s’humilier les uns les autres, et qui, enfin, obtient la victoire, est plus glorieux d’avoir nui à autrui que de s’être bien servi lui-même. Cette Gloire ou ce contentement est vraiment une vanité, car elle n’est rien.
Ce qu’il faut observer sur la Honte ressort facilement de ce que nous avons dit sur la Miséricorde et le Repentir. J’ajoute seulement que, comme la Commisération, la Honte, qui n’est pas une vertu, est bonne cependant en tant qu’elle dénote dans l’homme rougissant de honte un désir de vivre honnêtement ; de même la douleur, qu’on dit bonne en tant qu’elle montre que la partie blessée n’est pas encore pourrie. Bien qu’il soit triste donc, en réalité, l’homme qui a honte de ce qu’il a fait, est cependant plus parfait que l’impudent qui n’a aucun désir de vivre honnêtement.
Telles sont les observations que j’avais résolu de faire sur les affections de Joie et de Tristesse. Pour les Désirs, ils sont bons ou mauvais, suivant qu’ils naissent d’affections bonnes ou mauvaises. Mais tous, en tant qu’ils naissent en nous d’affections qui sont des passions, sont aveugles (comme il ressort aisément de ce qui a été dit dans le Scolie de la Prop. 44), et ne seraient d’aucun usage si les hommes pouvaient être facilement amenés à vivre suivant le seul commandement de la Raison, comme je vais le montrer brièvement. [*]


Vana quæ dicitur gloria est acquiescentia in se ipso quæ sola vulgi opinione fovetur eaque cessante cessat ipsa acquiescentia hoc est (per scholium propositionis 52 hujus) summum bonum quod unusquisque amat ; unde fit ut qui vulgi opinione gloriatur, quotidiana cura anxius nitatur, faciat, experiatur ut famam conservet. Est namque vulgus varius et inconstans atque adeo nisi conservetur fama, cito abolescit ; imo quia omnes vulgi captare applausus cupiunt, facile unusquisque alterius famam reprimit, ex quo quandoquidem de summo quod æstimatur bono certatur, ingens libido oritur se invicem quocunque modo opprimendi et qui tandem victor evadit, gloriatur magis quod alteri obfuit quam quod sibi profuit. Est igitur hæc gloria seu acquiescentia revera vana quia nulla est.
Quæ de pudore notanda sunt, colliguntur facile ex iis quæ de misericordia et pœnitentia diximus. Hoc tantum addo quod ut commiseratio sic etiam pudor quamvis non sit virtus, bonus tamen est quatenus indicat homini qui pudore suffunditur, cupiditatem inesse honeste vivendi, sicut dolor qui eatenus bonus dicitur quatenus indicat partem læsam nondum esse putrefactam ; quare quamvis homo quem facti alicujus pudet, revera sit tristis, est tamen perfectior impudenti qui nullam habet honeste vivendi cupiditatem. Atque hæc sunt quæ de affectibus lætitiæ et tristitiæ notare susceperam. Ad cupiditates quod attinet, hæ sane bonæ aut malæ sunt quatenus ex bonis aut malis affectibus oriuntur. Sed omnes revera quatenus ex affectibus qui passiones sunt in nobis ingenerantur, cæcæ sunt (ut facile colligitur ex iis quæ in scholio propositionis 44 hujus diximus) nec ullius usus essent si homines facile duci possent ut ex solo rationis dictamine viverent, ut jam paucis ostendam.


[*(Saisset :) Ce qu’on appelle vaine gloire, c’est cette espèce de paix intérieure qui n’est entretenue que par l’opinion du vulgaire, de sorte que, cette opinion venant à disparaître, la paix intérieure, en d’autres termes (par le Scol. de la Propos. 52), le souverain bien que chacun aime, disparaît avec elle. Il suit de là que celui qui se fait gloire de l’opinion du vulgaire fait sans cesse effort et s’épuise en inquiétudes de chaque jour pour conserver sa réputation. Le vulgaire, en effet, est changeant et plein d’inconstance, et toute réputation qui ne se maintient pas périt à l’instant. Or, comme tous les glorieux désirent les applaudissements du vulgaire, il est facile à chacun de diminuer la réputation d’un autre, et de cette rivalité qui les anime pour la possession de ce qu’ils croient le souverain bien, naît un désir si violent de s’abaisser l’un l’autre que le vainqueur dans cette lutte est plus glorieux d’avoir nui à ses rivaux que de s’être servi lui-même. Cette gloire, cette paix intérieure, sont donc choses vaines et n’ont aucun fond réel. Les remarques que je pourrais faire ici sur la honte peuvent se conclure aisément de ce qui a été dit touchant la pitié et le repentir. Je me borne à ajouter que la honte, de même que la commisération, bien qu’elle ne soit pas une vertu, est bonne toutefois, en tant qu’elle marque dans celui qui l’éprouve un désir réel de vivre dans l’honnêteté ; et c’est encore ainsi que la douleur est bonne, en tant qu’elle est une preuve que la partie malade n’est point encore en putréfaction. Ainsi donc, bien qu’un homme qui a honte de quelque action soit par là même dans la tristesse, il est dans un état de perfection plus grand que l’impudent qui n’a aucun désir de bien vivre. Tels sont les principes que j’avais entrepris d’établir touchant les passions qui dérivent de la joie ou de la tristesse. Quant aux désirs, les uns sont bons, les autres mauvais, suivant qu’ils proviennent de bonnes ou de mauvaises passions. Mais tous ceux qui se forment en nous sous l’influence d’affections passives sont des désirs aveugles.(comme il est aisé de le déduire de ce qui a été dit dans le Scol. de la Propos. 44), et ils ne seraient d’aucun usage, si les hommes pouvaient être aisément amenés à vivre sous la conduite de la seule raison. C’est ce que je vais montrer en peu de mots.

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