Traité politique, VIII, §14

  • 8 mai 2005


Les patriciens sont choisis dans certaines familles dans des lieux déterminés [1]. Mais il est pernicieux de régler cela par une loi expresse. Outre en effet que les familles s’éteignent souvent et que les autres ne peuvent, sans offense, être exclues, il faut ajouter qu’il est contraire à cette forme d’État que la dignité patricienne soit héréditaire (par le § 1 de ce chapitre). Mais l’État de cette façon paraît se rapprocher beaucoup d’une démocratie comme celle que nous avons décrite au § 12 de ce chapitre où un très petit nombre d’hommes tiennent les citoyens sous leur domination. Empêcher d’autre part que les patriciens ne choisissent leurs fils et leurs consanguins et que certaines familles, en conséquence, ne conservent le droit au commandement, cela est impossible et même absurde, ainsi que je le montrerai au § 39 de ce chapitre. Mais il ne faut pas que ce soit en vertu d’un droit exprès et que les autres (pourvu qu’ils soient nés dans l’État, qu’ils parlent la langue nationale, ne soient pas mariés à une étrangère, ne soient pas notés d’infamie, ne soient ni esclaves, ni adonnés à quelque métier servile parmi lesquels celui de marchand de vin ou de bière doit être rangé) soient exclus ; l’État conserve néanmoins sa forme et le rapport qui doit exister entre les patriciens et la masse du peuple subsistera.


Traduction Saisset :

Les patriciens sont choisis parmi certaines familles seulement et dans certains lieux. Mais établir qu’il en sera ainsi par une loi expresse, ce serait dangereux ; car outre que souvent les familles viennent à s’éteindre et qu’il y a une sorte d’ignominie pour les familles exclues, ajoutez qu’il répugne à la forme du gouvernement dont nous parlons que la dignité patricienne y soit héréditaire (par l’article 1 du présent chapitre). Mais par cette raison, ce gouvernement semble être plutôt une démocratie, telle que celle que nous avons décrite à l’article 12 du présent chapitre, je veux dire un État où le pouvoir est entre les mains d’un très-petit nombre de citoyens. D’un autre côté, vouloir empêcher les patriciens d’élire leurs fils et leurs parents, de sorte que le pouvoir ne se perpétue pas dans quelques familles, c’est une chose impossible et même absurde, comme je le ferai voir plus haut à l’article 39. Pourvu donc que les patriciens n’obtiennent pas ce privilège par une loi expresse, et que les autres citoyens ne soient pas exclus (je parle de ceux qui sont nés dans l’empire, qui en parlent la langue, qui n’ont pas épousé des étrangères, qui ne sont pas infâmes, qui enfin ne vivent pas du métier de domestiques ou de quelque autre office servile, et je compte les marchands de vin et de bière dans cette dernière catégorie), l’État gardera sa forme, et le rapport entre les patriciens et la multitude pourra toujours être conservé.


Patricii ex quibusdam tantummodo familiis aliquibus in locis eliguntur. Sed hoc expresso iure statuere perniciosum est. Nam praeterquam quod familiae saepe extinguuntur, et quod nunquam reliquae absque ignominia excluduntur, accedit, quod huius imperii formae repugnat, ut patricia dignitas hereditaria sit (per art. 1. huius cap.). Sed imperium hac ratione democraticum potius videtur, quale in art. 12. huius cap. descripsimus, quod scilicet paucissimi tenent cives. Attamen contra cavere, ne patricii filios suos et consanguineos eligant, et consequenter ne imperandi ius in quibusdam familiis maneat, impossibile est, imo absurdum, ut art. 39. huius cap. ostendam. Verum, modo id nullo expresso iure obtineant, nec reliqui (qui scilicet in imperio nati sunt, et patrio sermone utuntur, nec uxorem peregrinam habent, nec infames sunt, nec serviunt, nec denique servili aliquo officio vitam sustentant, inter quos etiam oenopolae et cerevisiarii numerandi sunt) excludantur, retinebitur nihilominus imperii forma, et ratio inter patricios et multitudinem servari semper poterit.


[1trad. obscure. Ramond : « Dans certains endroits, on choisit les patriciens dans quelques familles seulement. »

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