Introduction

La première impression que laisse cette formule, "vaincre ses désirs plutôt que l’ordre du monde", est celle d’une résignation nécessaire qui nous conduirait à subir passivement l’évolution naturelle du monde "ordonné" face auquel nous sommes impuissants, ainsi que les conséquences que cela entraîne sur nous. Toutefois, on est amené à se demander s’il n’y a pas dans cette "résignation" quelque chose de plus profitable à l’homme, ou de plus positif, une sorte de "liberté" acquise par la victoire sur ses désirs. La question fondamentale qu’implique nécessairement cette affirmation est en effet celle de la liberté : doit-on consentir à la restreindre conformément à un "ordre du monde" ou la soumettre à ses désirs ? Mais avant de se soucier de la nécessité ou de l’opportunité d’appliquer ce précepte, il convient de s’intéresser à la possibilité d’une telle démarche : est-il donc possible de vaincre ses désirs, et quels en sont les moyens éventuels ?

1. Est-il possible de vaincre ses désirs (et quels sont les moyens éventuels) ?

a) OUI, cela n’est théoriquement pas impossible.

En effet, la question ne se posant que s’il est possible de vaincre ses désirs, il est nécessaire de comprendre en tout premier lieu ce qu’est un désir, afin d’envisager la possibilité offerte à l’homme de le vaincre. En effet, deux objections pourraient être formulées à l’égard de cette possibilité : premièrement, si le désirs appartient entièrement ou en partie au domaine de l’inconscient, il n’est pas envisageable de le vaincre par quelque action de la pensée que ce soit, puisque cette pensée ne peut s’appliquer qu’à des objets conscients. En second lieu, si le désir est l’essence de l’homme, l’homme ne peut pas non plus le vaincre, car il perdrait sa nature humaine.
Le désir se définit comme une tendance consciente, celle de la représentation d’une réalité comme source possible de satisfaction ; au niveau de l’inconscient, ce type de tendance n’est qu’une pulsion. Dans L’Ethique, Spinoza définit le désir comme "l’appétit accompagné de la conscience de lui-même". Donc, même si le désir peut avoir pour origine des pulsions inconscientes, dès lors qu’il apparaît en tant que désir nous en avons par définition conscience. Ainsi, si un objet nous attire parce qu’il éveille en nous des souvenirs inconscients (à l’encontre desquels nous ne pouvons rien), cette attirance ne devient désir qu’à partir du moment ou une représentation consciente s’est établie dans notre esprit. Par conséquent, la pensée peut exercer sur ce désir son pouvoir réflexif, et l’éventualité de pouvoir le vaincre n’est pas pour le moment écartée.
Cependant, cette définition du désir peut nous faire penser quasiment avec certitude que l’homme est le seul être à connaître des désirs, puisqu’il est le seul à pouvoir avoir conscience d’une telle représentation. Les animaux par exemple peuvent avoir des besoins mais pas des désirs, dans la mesure ou le passage des premiers aux seconds se situe au niveau de la représentation, le besoin n’étant que l’expression d’un manque provoquant un état de tension qui vise à la satisfaction du besoin par l’accès à l’objet du manque. De la sorte, si les animaux éprouvent le besoin de manger, ils sont incapable de désirer un met qui leur serait inconnu de leurs sens. Le désir étant propre à l’homme, on pourrait être tenté de le considérer comme son essence. Mais en fait nous n’avons pas plus montré par l’exemple précédant, ni sa généralisation, que le désir était une cause plutôt qu’une conséquence de la nature humaine, c’est-à-dire qu’en fait le désir est consécutif à la constitution et à la nature de l’homme, sans pour autant en être une condition nécessaire ; la conséquence de cette remarque étant que, dans le cas ou le désir n’est qu’un résultat de la constitution de l’homme, l’on ne perd pas sa nature humaine, l’on ne "s’animalise" pas nécessairement si l’on n’a plus aucun désir. Un contre-exemple suffit à le démontrer : une personne en état de comma n’a plus de représentations, ni même aucune activité, mentale. Elle n’a donc plus de désirs, et pourtant nous continuons à la nommer "homme". Un même raisonnement peut d’ailleurs être suivi concernant les personnes atteintes de graves troubles mentaux, ceux-ci les empêchant parfois de dépasser le stade de la pulsion pour atteindre le désir. Cependant ce sont tout de même des hommes.
De toute façon, la proposition ne nous invite pas à nous défaire des désirs, à ne plus en avoir, mais à les vaincre, c’est-à-dire ne pas en devenir l’esclave, ne pas les laisser gouverner notre vie. Il n’est donc pas à priori impossible de vaincre ses désirs, mais encore faut-il pour cela des moyens.

b) 1er moyen : volonté

Le premier moyen étudié est celui que nous propose Descartes : partant du principe qu’ "il n’y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées", il affirme que seule la volonté peut influer sur nos désirs afin de les orienter vers ce qu’il nous est possible d’atteindre. Il s’agit donc de se persuader, par la volonté, que tout ce qu’on n’a pas pu obtenir en faisant de notre mieux, est hors de portée, et qu’il n’y a donc plus lieu de le désirer. Cette méthode soulève toutefois deux objections : tout d’abord, cette méthode demande une grande sagesse, et n’est pas à la portée du "commun des mortels". Le désir étant illimité et incessant, cette méthode requiert une attention de tous les instants, qu’il n’est pas possible de posséder dans la pratique à moins d’une grande expérience et d’un grand entraînement. En second lieu, une objection plus fondamentale peut être faite : La volonté et la raison ne peuvent s’appliquer à vaincre que des problèmes rationnels. Or certains de nos désirs sont conscients mais pas rationnels, comme le désir amoureux qui dépasse la rationalité du désir sexuel. Ce moyen, utilisant la volonté, ne peut donc pas être appliqué dans tous les cas. C’est en quelque sorte une domination des désirs par la force, qui ne constitue pas une victoire définitive : le désir n’est pas tué, mais seulement étouffé, "comme sous un couvercle". De plus, comme la volonté ne peut vaincre que ce qu’elle conçoit clairement, ce moyen ne peut être efficace que si le désir est parfaitement compris.

c) 2e moyen : compréhension

Il en résulte le deuxième moyen que l’on peut envisager pour vaincre les désirs, à savoir leur excellente compréhension. Il s’agit là de pouvoir saisir les désir en les comprenant, de façon à pouvoir exercer sur eux un jugement. En faisant ceci, on retire au désir une grande partie de sa valeur, car le désir nous semble parfois plus "considérable", ou plus "influent" qu’il n’est réellement, simplement par le fait qu’il n’est pas bien compris. Ainsi, si l’on arrive à analyser le désir, à en comprendre les causes, les façons dont il se manifeste, ainsi que le poids qu’il exerce sur la conscience, un grand avantage est pris sur lui. Premièrement, c’est à partir de ce moment que la volonté peut être utilisée, car on peut se persuader, par exemple, de son impossible satisfaction, c’est-à-dire imposer à l’esprit cette idée, qui s’appuie sur des fondements rationnels, les seuls de nature à influencer la pensée. Plus efficacement encore, cette opération permet de se détacher de son désir, et de ne plus être, quand on réfléchis à ce désir, influencé de façon plus ou moins consciente par le désir lui-même qui n’aurait pas été bien "cerné". Ce moyen l’emporte donc sur le précédant car il permet une victoire sur le désir sans "forcer" son inclination. Le désir dont l’essence est subjective disparaît naturellement, ou en tout cas est vaincu de façon définitive, puisqu’on parvient à lui imposer notre objectivité.

Il est donc théoriquement possible de vaincre ses désirs. Mais, une fois les désirs vaincus, quel peut en être l’apport positif, autrement dit, quels avantages l’homme peut-il trouver dans sa victoire sur les désirs ?

2. Quels sont les avantages que l’on peut en tirer ?

a) fin des frustrations, sentiment de se maîtriser

De tous les profits que l’homme peut tirer de ce contrôle des désirs, le premier que l’on ressent est sans doute la fin des frustrations, la fin de la sensation de manque, et l’apparition du sentiment de maîtrise de soi. En effet, les désirs sont par nature illimités et peuvent nous dépasser. En effet, dès qu’un désir est satisfait, un nouveau désir apparaît, parfois contradictoire avec le premier, de sorte par exemple que lorsqu’une incapacité physique nous rend inactifs, nous désirons agir, tandis que lorsque nous sommes redevenus actifs nous désirons prendre du repos. On ne peut donc jamais être satisfait, et si l’on ne vainc pas ses désirs, ceux-ci peuvent devenir une obsession. Sans aller jusqu’à ce cas extrême, si on laisse les désirs nous dominer ou avoir trop d’emprise sur nous, on ne peut plus profiter de ce que l’on a, et on ne vit que dans le manque. Des désirs secondaires peuvent, s’ils prennent trop d’importance, nous empêcher d’être heureux de ce que l’on possède ou de l’état ou l’on se trouve, alors même que l’on désirerait ces objet ou ces états si on ne les possédait pas. Ainsi, celui qui, vivant en bonne santé et en temps de paix, a sa pensée obnubilée par le désir d’être riche, ne serait pas plus satisfait s’il devenait effectivement riche, et vit en ne ressentant ses désirs qu’en tant que manque, ou regrets, sans jamais être heureux. C’est précisément ce que permet d’éviter l’application de la maxime proposée, car on peut trouver à l’inverse une dignité humaine à ne pas se laisser emporter par ses désirs. L’esprit humain peut trouver une satisfaction en ne laissant plus dominer par le désir, et s’enorgueillir que ses pensées ne dépendent plus d’un sentiment qu’il ne contrôle pas.

b) liberté de choisir, de penser, sans cette "contrainte intérieure" que représente le désir

Ceci amène donc une liberté de la pensée. En effet, le désir peut nous faire attribuer des valeurs aux personnes ou aux objets, lesquelles valeurs ne sont pas objectives et ne découlent pas de la pensée, c’est-à-dire plus clairement que le désir entraîne des préjugés. Dans ce cas, puisque le désir peut influer sur notre raisonnement, la pensée n’est pas entièrement libre dans la mesure où une contrainte extérieure à elle-même contrarie sa progression. Le désir que l’on porte sur quelqu’un ou sur quelque chose sera bien sûr faussé si on désire cette personne ou cet objet, car il n’y a plus de distance critique, le désir tendant à nous faire nous rapprocher de ce qui est désiré. Or, si le désir est vaincu, les valeurs que l’on attribue alors aux personnes ou aux objets deviennent celles que la pensées a reconnu de façon objective. Le désir est bien une entrave à la liberté de la pensée. A titre d’exemple, si l’on éprouve un désir de richesse, on portera sur les personnes qui représentent l’accomplissement de ce désir un jugement irrationnel (on les enviera, ou on les jalousera), ce jugement sera en tout cas différent de celui qu’exerce naturellement la pensée libérée de toute contrainte.

c) le renoncement à certains désirs rend possible la vie en société

Un dernier mérite de cette conception du désir dominé est de rendre possible la vie en société. En effet, cette vie en société est impossible si chacun n’a d’objectif que la satisfaction de ses désirs personnels. Pour pouvoir vivre au sein d’une collectivité, il faut avant tout tolérer l’autre, et donc renoncer à certains de ses désirs. En tout premier lieu, la volonté de puissance doit s’effacer en démocratie devant l’intérêt général. Il faut accepter, dans l’optique d’une vie en société, que certaines décisions, voire la totalité des décisions, concernant la collectivité soient prise par d’autres personnes. Ceci peut être discuté dans le cas de celui qui exerce un pouvoir absolu, mais on ne peut pas vraiment parler d’un membre d’une société, et par définition jamais une société ne pourrait être formée seulement de cas comme celui-ci. Ce renoncement à certains désirs individuel est surtout intéressant dans un démocratie, puisqu’il faut accepter que les désirs collectifs, ou l’expression de la "volonté générale" selon Rousseau, priment sur ses propres désirs. De même, les désirs qui peuvent porter préjudice à autrui sont théoriquement proscrits par la loi, elle-même indispensable à la vie en collectivité.
Cependant, si certains désirs sont incompatibles avec la vie en société, il n’est pas non plus nécessaire pour la rendre possible de vaincre tous ses désirs.

De façon plus générale, si, comme on vient de le voir, il est préférable de vaincre certains désirs, n’y aurait-il pas également d’autres désirs plus "positifs", permettant une liberté à travers l’action, et, qui plus est, compatibles avec "l’ordre du monde" ?

3. Mais certains désirs peuvent êtres positifs, et le monde n’est pas seulement un ordonnancement figé

a) Les désirs peuvent aider à se connaître, à prendre conscience de soi, et surtout à agir

Certains désirs peuvent en effet aider le sujet à prendre conscience de lui-même ou l’entraîner à agir. Les désirs se trouvent parmi ce qu’un sujet a de plus personnel, parmi ce qui le différencie d’un autre. C’est pour cette raison qu’il est si pénible et difficile d’avouer ses désirs, la crainte étant soit d’être incompris, soit au contraire de trop se révéler aux yeux des autres. Hegel va plus loin en affirmant que "C’est le désir (conscient) d’un être qui constitue cet être en tant que Moi et le révèle en tant que tel en le poussant à dire : "Je..."". En fait, ainsi que nous l’avons démontrer dans la première partie, ce n’est pas seulement le désir qui nous constitue puisque la pensée, et donc la conscience de soi, n’est pas formée exclusivement du désir, bien que ce dernier en soi un des constituants.
D’autre part, si les désirs ne sont pas réalisables, ils nous entraînent quand même à agir. Le désir peut être compris comme une tendance, c’est-à-dire un mouvement fondant et orientant l’activité d’un être. Grâce à certains désirs, la pensée se tourne, et tourne l’organisme auquel elle est liée vers une fin, dans une sorte de transcendance qui la fait s’élever au-dessus de la simple réflexion logique ou rationnelle. Le désir est aussi une force unificatrice : lorsque l’on a conscience d’un désir suffisamment important, il peut orienter nos actions et nos pensées vers un même but qui est sa satisfaction, ce qui rend de toute façon notre action plus efficace que si elle se dispersait sans objectif précis. On peut ainsi agir soit pour modifier quelque chose en vue d’accéder à l’objet désiré, soit pour conserver ce qu’on a, car le désir peut en effet porter sur quelque chose que l’on possède déjà. Le désir amoureux par exemple est sans cesse renouvelé, même lorsqu’il a été satisfait une première fois. Ce désir, spécifiquement humain a pour objet un autre désir, car ce que l’on désire, c’est avant tout d’être l’objet du désir de l’autre, comme nous le dit Hegel. L’action consiste donc dans ce cas à faire son possible pour perpétuer ce désir. Il conduit donc à une construction positive de l’individu qui cherche à se rendre désirable.

b) Le monde dans lequel nous vivons dépend en grande partie de nous

Le désir peut avoir comme effet une action du sujet sur lui-même, mais également une action entraînant des changements non pas de l’ordre physique du monde, mais du monde lui-même. En effet, le monde dans lequel nous vivons n’est pas seulement le monde figé, immuable et obéissant à des lois naturelles imposées aux hommes dont semble faire état l’intitulé du sujet. Un "ordre du monde" existe bien si l’on entend par là les lois de la physique, ou des sciences en générale, qui régissent le fonctionnement de l’univers, du monde naturel. L’homme n’a effectivement aucun pouvoir sur ces principes. Mais à côté de ces principes rigides, il y a également un monde "humain", qui est le monde réel, comprenant un monde technique, regroupant les connaissances et les constructions de l’homme, et un monde social que forment les hommes réunis en société. Or l’homme, qui ne peut changer l’ordre du monde naturel, peut tout à fait exercer son pouvoir sur ce monde humain. Ainsi, l’homme a le pouvoir de faire évoluer le monde. En comprenant mieux l’ordre du monde naturel qu’il ne peut modifier, il peut se servir des règles découvertes pour changer l’ordre du monde humain en utilisant au mieux ces règles.
Or si cette action semble à priori possible, encore faut-il que quelque chose donne à l’homme l’impulsion, la volonté d’en faire usage. C’est le désir qui peut entraîner cette dynamique, bien visible dans l’histoire des techniques : depuis l’invention des premiers outils par les hommes du paleolithique, jusqu’aux dernières inventions comme l’imprimerie ou l’informatique (toutes deux récente dans l’histoire de l’humanité), l’homme a sans cesse modifié les données extérieures d’un monde qui lui est originellement hostile, et cela dans l’unique but de satisfaire ses besoins, dans un premier lieu, puis ses désirs. A défaut de vaincre l’ordre du monde, l’homme peut changer, c’est-à-dire vaincre, le monde réel, qu’il concerne la nature (les barrages modifient le paysage et le fonctionnement "naturel" du cours d’eau) ou l’homme lui-même (il a pu reculer l’âge de sa mort d’un vingtaine d’année au quadruple, ce qui lui et incontestablement favorable et représente un progrès, même si pour autant son désir d’immortalité n’est pas atteint). Le désir représente dans ce cas un apport dynamique. Ce sont ces désirs, qui nous font agir, que Spinoza nomme "actions", par opposition aux "passions", qui sont des désirs que l’on subit passivement. On remarque que cette action est d’autant plus efficace que l’homme est organisé en société. On se rend donc compte que du renoncement à certains désirs (individuels), naît la société, qui permet la satisfaction d’autres désirs (communs ou partagés entre plusieurs hommes. Le rejet du désir a dans ce cas permis une certaine liberté, à travers la mise en place de la société, et à travers l’action commune vers l’accomplissement d’autres désir. Il ne peut donc pas s’agir, en vue de la liberté, de vaincre indifféremment tous ces désirs. Il est également un désir fondamental qui doit de toute façon être exclu de la maxime proposée : le désir de se reproduire qui, différent de la pulsion animale dont il est issu, a permis à l’homme de s’imposer en dominant le monde, et de s’affranchir de ses origines animales.

c)La force des désirs, en particulier dans la recherche de la liberté, est prouvée par la force avec laquelle ceux qui ne veulent pas changer le monde, ou sa connaissance, les ont combattu.

Pour se persuader du rôle que joue le désir dans la quête de liberté, il suffit de considérer les efforts qui ont été déployés historiquement par ceux qui ont entravé la liberté, pour lutter contre les désirs. Ceux qui dominent n’ont pas intérêt à changer l’ordre du monde, ni ses structures ni le monde en lui-même. Or ceux-là ont très tôt compris que c’est le désir qui pousse à changer le monde, généralement pour plus de liberté. C’est pourquoi ce sont ceux qui ne veulent pas changer le monde, qui conseillent (dans le meilleur des cas) de vaincre les désirs. Le désir est censuré et remplacé par des valeurs comme la chasteté, qui nie le désir sexuel, ou l’humilité, qui nie le désir de puissance et peut être compris comme : "ne cherchez pas à prendre la place des puissants". Cette attitude fut par exemple celle de l’Eglise catholique au Moyen Age, qui considérait le désir comme un péché. Elle est encore adoptée aujourd’hui, par ceux qui impose le système des castes en Inde. On impose la maîtrise des désirs, en promettant une récompense, et on impose surtout ainsi le respect de l’ordre établi et immuable (celui de Dieu, voire de l’Eglise, celui des castes). Briser les désirs est le meilleur moyen de défense de la classe supérieure, qui bénéficie de l’ordre social en place. Mais quand les désirs sont trop forts, le monde, en l’occurrence l’ordre social, change, l’espoir étant à ce moment toujours le même : celui de la liberté. Ceci est bien une justification de l’importance dynamique du désir : si celui-ci n’était pas si fort, s’il ne permettait pas de changer si radicalement le monde, nul besoin ne serait de le contenir à tel point.
La même démonstration peut s’appliquer au domaine des sciences : les savants en place ont longtemps désirer briser les désirs des jeunes savants qui peuvent casser ce qu’ils considéraient comme l’ordre du monde. Ceci est particulièrement visible aux quinzième et seizième siècle lors des bouleversement dans la conception traditionnelle du monde, mais également plus tard, lorsque l’atome, considéré comme un ordre fondamental, est détrôné de sa place de plus petite partie de la matière. Là encore, c’est le désir de savoir qui a poussé des hommes à faire cette découverte. Ils n’ont pas brisé l’ordre physique du monde, mais l’ont au contraire mieux compris grâce à ce désir.
On voit à travers ces exemple que si nous comprenons l’ordre du monde non pas comme les lois naturelles, mais comme l’ordre établit par les hommes eux-mêmes s’appliquant à "leur" monde, humain, il est dans ce cas tout à fait possible, bien que difficile, et nécessaire, dans certains cas, de le vaincre en affirmant sa liberté de chercher à satisfaire ses désirs.

Pour certains désirs, "actifs", le choix entre ces désir et l’ordre du monde ne s’impose pas, puisque la recherche de la satisfaction des premiers ne remet pas en cause le second.

Conclusion

On se rend compte donc finalement que la réponse à la question initiale, qui était de savoir à qui, des désirs ou de l’ordre du monde, devait se soumettre la pensée, n’est pas la même selon les différents désirs considérés. Ainsi, si la liberté de pensée, et l’homme en général, peut gagner à vaincre les désirs, ce qui est possible par leurs compréhension et éventuellement la volonté, il y a aussi certains désirs qui sont une force motrice et permettent de progresser en changeant le monde, tout en se maintenant dans le cadre des lois de la nature. Mais, pour changer le monde, il convient avant tout de mettre de l’ordre dans les désirs, ce classement permettant d’ordonner les actions rendues alors plus efficaces. On peut par exemple faire les classements suivants : distinguer les désirs "actifs" des désirs "passifs", ceux qui construisent l’individu de ceux qui le détruisent, les désirs collectifs (dont l’action engendrée est plus efficace) des désirs individuels (qui permettent néanmoins l’épanouissement personnel) ... Cette classification ne peut être que personnelle et propre à chaque individu. Elle permet en outre une meilleure compréhension, et, dès lors, une réelle liberté de choix.