L’esprit de la croisade
Le goût des commémorations alimente la mobilisation des éditeurs sur le dossier des croisades - épineux depuis la relecture des engagements politico-militaires à l’heure de la décolonisation. La nouvelle édition du recueil de textes choisis et présentés par le médiéviste Jean Richard obéit peut-être à cette vogue, qui survit à la célébration des 900 ans de l’appel de Clermont (1095), puis de la prise de Jérusalem (1099) ; mais pas sa conception. Parue dès 1969, cette anthologie entendait éviter les trop fréquentes erreurs de parallaxe comme les désaveux rétrospectifs et fièvres de "repentance" dont l’historien ne retient que le révélateur des mentalités du temps qui les connaissent.
Soucieux de comprendre le véritable moteur d’une aventure maintes fois répétée durant deux siècles en direction de ces "sanctuaires visibles", nécessaires selon Paul VI à "ceux dont l’intelligence ne peut atteindre les Saints des Saints invisibles" (de l’équipe conduite par Godefroy de Bouillon à l’ultime voyage de Louis IX, en passant par l’expédition pacifique du Saxon Henri le Lion (1172) ou l’entrée controversée de Frédéric II (1229) dans une Jérusalem où le Temple, devenu Mosquée d’Omar, était laissée au culte musulman), Jean Richard évoque la conscience du péché, et, partant, le désir de pénitence, le code de l’honneur chevaleresque, et la vassalité absolue qui élit Dieu pour suzerain, l’exigence de la foi qui ne supporte pas l’accommodement ?
Quand Joinville, "décroisé", refuse de suivre Louis IX en mars 1270, il sait qu’il perd "l’amour du roi", mais stigmatise ceux qui poussent à ce "péché mortel" : "Si nous nous croisons, nous perdons celui de Dieu, parce que nous ne nous croiserons pas pour lui, mais par peur du roi." Un retour aux sources bien intéressant.