1. Contre la théologie astrale.

Il ne faut pas croire que les phénomènes célestes, les mouvements, les changements de direction, les solstices, les éclipses, les levers, les couchers et toutes les autres choses du même genre se produisent sous le gouvernement d’un être qui les règle ou doive intervenir un jour, s’il le faut, pour les régler, et à qui on attribue en même temps la béatitude et l’immortalité. (77) Car les occupations, les soucis, les colères, les faveurs ne s’accordent point avec la béatitude, mais ont leur source dans la crainte ou dans le besoin qu’on éprouverait pour d’autres êtres avec lesquels on serait en rapport. Et il ne faut pas croire non plus que ce sont des foyers d’un feu constitué pour se mouvoir en cercle, et dont chacun posséderait la béatitude, qui sont animés, en vertu d’une volonté à eux, des mouvements que nous avons énumérés. Mais il faut préserver, en le lui témoignant dans tous les noms qu’on lui donne, la majesté du divin, afin que, de noms peu convenables, nous ne tirions pas des opinions opposées à ce respect : faute d’agir ainsi, une contradiction de cette espèce suffira à porter le plus grand trouble dans les âmes. Ce qu’il faut croire, c’est donc que les révolutions des astres sont des mouvements nécessaires, et qu’elles s’accomplissent en conséquence de ce que les astres étaient compris dès l’origine dans ces tourbillons qui chacun engendrent un monde.

2. Étude des réalités célestes et explication multiple.

(78) On doit d’ailleurs admettre que la physique accomplit sa fonction en approfondissant la cause des principaux faits relatifs aux astres, que notre félicité puise dans la connaissance des phénomènes célestes, la détermination de leur nature, et il en va de même à propos de tous les phénomènes semblables dont l’approfondissement contribue au bonheur. Ajoutons qu’en pareille matière la pluralité des explications et la formule : il peut en être soit ainsi soit autrement, ne sont pas de mise ; mais qu’il faut prononcer d’une manière absolue que l’essence immortelle bienheureuse ne saurait rien impliquer qui soit capable d’apporter avec soi la dissolution et le trouble : car il est possible de saisir par la pensée qu’il en est absolument ainsi. (79) Au contraire, ce qui rentre dans le domaine de la recherche au sujet des couchers et des levers, des solstices, des éclipses et choses de même ordre, la connaissance qu’on en peut avoir ne contribue plus au bonheur, car ceux qui la possèdent, sans savoir ce que sont les substances des astres et les causes principales de leurs mouvements, ceux-là sont aussi sujets aux frayeurs que s’ils ne savaient pas ce qu’ils savent, et peut-être même y sont-ils plus sujets, parce que l’étonnement qui résulte chez eux de ce qu’ils connaissent un plus grand nombre de ces phénomènes que les autres hommes, ne peut pas prendre fin par l’intelligence de l’ordre fondamental du monde. C’est pourquoi, si nous trouvons et indiquons plusieurs causes possibles des solstices, des couchers, des levers, des éclipses et des autres choses de ce genre, ainsi que cela a lieu pour les faits particuliers que nous observons sur la terre, (80) il ne faut pas croire pour cela que notre besoin de connaissance relativement à ces choses n’a pas été pleinement satisfait, autant qu’il importe pour notre ataraxie et notre bonheur. Par conséquent, il faut considérer de combien de façons peuvent se produire les faits qui se passent sur la terre et sous nos yeux, puis partir de là pour indiquer les causes des phénomènes célestes qui leur ressemblent et, en général, de tous les faits invisibles qui ressemblent aux visibles. Nous mépriserons ceux qui ne connaissent pas les choses dont il n’y a qu’une explication unique et celles qui en comportent plusieurs, ceux qui, par suite des distances, ne savent pas voir comme il faut les phénomènes célestes, ceux qui ignorent quelles sortes d’explications sont insuffisantes pour procurer l’ataraxie. Si donc nous concevons qu’un phénomène puisse, outre une certaine cause, en avoir encore une certaine autre, qui suffise au même degré à assurer l’ataraxie, cette connaissance même de la possibilité de plusieurs explications nous procurera l’ataraxie tout aussi bien que si nous savions que le phénomène a lieu pour telle raison et non autrement.

3. Du trouble à l’ataraxie.

(81) La réflexion qu’il importe le plus de faire sur tout cet ordre de faits en général, c’est que le trouble le plus grand que puisse éprouver l’âme humaine provient, en premier lieu, de ce que l’on considère les astres comme des êtres bienheureux et immortels, pendant que, d’autre part, on leur attribue des volontés, des actions et des opérations opposées à la béatitude et à l’immortalité ; et qu’il provient, en second lieu, de ce qu’on redoute sans cesse comme assurée ou comme possible, quelque peine terrible et éternelle, telle qu’il y en a dans les mythes, qu’on redoute même jusqu’à l’insensibilité de la mort, comme si celle-ci avait quelque rapport avec nous, éprouvant toutes ces affections en conséquence, non d’opinions mûries, mais de sentiments irréfléchis, de sorte que, quand on n’a pas défini ce qui est à craindre, on ressent autant ou même plus de trouble que ceux qui se sont fait des choses à craindre une juste opinion. (82) L’ataraxie consiste à être délivré de toutes ces craintes, en conservant constamment le souvenir des vues d’ensemble et des doctrines principales que nous avons enseignées sur la nature.

Par conséquent, nous devons prendre en considération nos affections réelles et nos sensations, nos sensations communes s’il s’agit d’un sensible commun, nos sensations spéciales s’il s’agit d’un sensible propre ; en un mot, prendre en considération toute évidence à nous fournie par chacun des critères. Car en nous servant de ces données évidentes, nous déterminerons sans erreur la cause de notre trouble et de notre crainte et nous les ferons disparaître, qu’il s’agisse d’ailleurs de chercher la cause d’un phénomène céleste ou de quelqu’un des autres événements qui surviennent sans cesse, bref d’un de ces faits qui inspirent au reste des hommes une frayeur extrême.

Voilà, Hérodote, réduit aux principaux chefs, l’abrégé que j’entreprenais à ton intention sur la nature de l’univers. (83) Il est tel que s’il devient efficace grâce à ce qu’on le retienne très exactement, l’homme qui le possédera, sans aller même jusqu’à approfondir les faits particuliers, aura, je pense, une force incomparable par rapport au reste des hommes. En effet, il sera capable d’éclaircir par lui-même beaucoup des explications de faits particuliers que nous avons approfondies dans notre traité complet, et, à d’autres égards, cet abrégé, fixé dans sa mémoire, lui sera d’un secours continuel. Il est tel en effet que ceux-là mêmes qui auront approfondi nos explications de détail, soit suffisamment soit même jusqu’à la perfection, pourront, en revenant à des vues d’ensemble comme celles-ci, faire dans la plupart des cas le tour de la nature. Et, d’autre part, ceux qui ne comptent pas tout à fait parmi les initiés de notre école, pourront à l’aide de cet abrégé, faire, à part eux et en silence, prompts comme la pensée, une revue circulaire des principaux points du système, suffisante pour leur procurer la sérénité.