La conception matérialiste de l’éternité, c’est celle qui consiste à ne renvoyer les actions qu’à la responsabilité de ceux qui les accomplissent. Chaque action est singulière, elle n’influe donc que sur elle-même, et ne renvoie rien d’autre qu’aux relations qu’elle détermine et à la continuité des rapports qu’elle entretient avec les autres. Chaque fois que l’on fait quelque chose, on en accepte la responsabilité : cette action vit pour toujours, dans l’éternité. Il ne s’agit pas d’immortalité de l’âme mais d’éternité des actions accomplies. C’est l’éternité du présent vécu à chaque instant qui passe : une plénitude complète, sans transcendance possible, fût-elle logique ou morale. C’est cela, l’intensité de l’action et de sa responsabilité. On comprend alors pourquoi je peux, par exemple, dire à une femme qui m’a trahie qu’elle est une salope : si je le disais dans l’immortalité, il n’y aurait aucune raison à cela ; mais dans la responsabilité de l’acte que chacun s’assume, je peux bien être un salaud, ou elle peut bien être une salope, parce que chacun d’entre nous est un salaud ou une salope dans la responsabilité qu’il a de ses propres actes concrets. Il n’y a pas de renvoi de la responsabilité : chacun de nous est responsable de sa singularité, de son présent, de l’intensité de la vie, de la jeunesse et de la vieillesse qu’il y investit. Et c’est l’unique moyen d’éviter la mort : il faut saisir le temps, le tenir, le remplir de responsabilité. Chaque fois qu’on perd cela à cause de la routine, des habitudes, de la fatigue, de la dépression ou de la fureur, on perd le sens « éthique » de la vie. L’éternité, c’est cela : notre responsabilité face au présent, à chaque moment, à chaque instant. Il s’agit d’une responsabilité éthique complexe, à l’intérieur de laquelle toute notre beauté intérieure - et parfois toute notre étroitesse : l’important est que tout cela soit sincère - doivent être renversées. Je ne propose rien d’autre qu’un franciscanisme laïc et athée.