« Le concept d’espace lisse constitue un modèle particulièrement fécond pour penser différents phénomènes contemporains caractérisés par une valorisation de la dissolution des frontières et des structures, de la fluidité, du non planifié et du spontané. En ce sens, il est un excellent outil pour conceptualiser l’espace cybernétique. Internet ne fonctionne-t-il pas en effet précisément comme un espace adirectionnel, non polarisé et non cartographiable, où les images se nouent et se dénouent sur un plan également proche ? Ne parle-t-on pas d’ailleurs de surfer sur le réseau, comme on navigue au gré des vagues, glissant sans boussole sur la poussière de pixels préformels ? L’internaute est un nomade, pilotant à vue dans la proximité des pages, sans perspective possible. Aussi Internet est-il l’espace lisse par excellence, comme lui espace d’ivresse et de fata morgana, aussi plein et vide que le Sahara, aussi proche et aussi aveuglant. L’espace strié serait alors, au contraire, le paradigme des médias traditionnels, avec leur linéarité, leur construction, leur profondeur et leur mise en perspective : l’orographie lisible de la vision éloignée, réfléchie et panoramique, opposée à la proximité enivrante de la vision haptique en espace lisse. » (Mireille Buydens, « Espace lisse / Espace strié » in Le vocabulaire de Gilles Deleuze (sous la dir. Robert Sasso et Arnaud Villani), Les Cahiers de Noesis n° 3, Printemps 2003, pp. 134-135.)