C’est une banalité de dire que la poésie peut recueillir ou anticiper des moments métaphysiques ou des moments d’analyse historique particulièrement forts. Pour ce qui est de Léopardi, il s’agissait d’une grande métaphore sur les effets du problème de la fin de la Révolution française. La révolution était finie, mais à la fin de la révolution triomphait un mode de vie complètement réactionnaire. La nostalgie du poète cherche alors à reconstruire d’autres valeurs et à les projeter dans le futur : il le fait à partir de ce moment de passage, depuis ce désert réactionnaire où les hommes ont été jetés. Léopardi vit la période de la réaction, il vit la Restauration qui succède à la révolution, et c’est à l’intérieur de cette situation, et en tant qu’homme fondamentalement lié non seulement à une tradition mais à une culture spécifique et à un langage réactionnaire - celui du baroque tardif -, qu’il agit et construit. II se livre à une anticipation énorme pour son époque, il creuse dans la Restauration pour redécouvrir les valeurs qui ont été niées et qui ne vivent plus ; il ne le fait pas de manière nostalgique mais au contraire avec une capacité poétique à créer du futur, à tel point qu’il. propose des horizons nouveaux même du point de vue linguistique, et qu’il invente des nouvelles formes de communauté qui brisent et traversent avec puissance la période sombre dans laquelle il se trouve, et qui anticipent les mouvements de masse, les mouvements de désir. Léopardi se sert de la poésie comme d’un bistouri pour creuser l’Histoire et en faire sortir moins ce qui reste du passé que tout ce que l’on peut inventer du futur.