L’individu

Les quatre caractères de toute pulsion

(...) Le concept de "pulsion" nous apparaît comme un concept-limite entre le psychique et le somatique, comme le représentant psychique des excitations, issues de l’intérieur du corps et parvenant au psychisme, comme une mesure de l’exigence de travail qui est imposée au psychisme en conséquence de sa liaison au corporel.

Nous pouvons maintenant discuter quelques termes qui sont utilisés en rapport avec le concept de pulsion, comme : poussée, but, objet, source de la pulsion.

La poussée d’une pulsion [1]

Par poussée d’une pulsion on entend le facteur moteur de celle-ci, la somme de force ou la mesure d’exigence de travail qu’elle représente. Le caractère « poussant »est une propriété générale des pulsions, et même l’essence de celles-ci. Toute pulsion est un morceau d’activité ;quand on parle, d’une façon relâchée, de pulsions passives, on ne peut rien vouloir dire d’autre que pulsions à but passif.

Le but d’une pulsion

Le but d’une pulsion est toujours la satisfaction, qui ne peut être obtenue qu’en supprimant l’état d’excitation à la source de la pulsion. Mais, quoique ce but final reste invariable pour chaque pulsion, diverses voies peuvent mener au même but final, en sorte que différents buts, plus proches ou intermédiaires, peuvent s’offrir pour une pulsion ; ces buts se combinent ou s’échangent les une avec les autres. L’expérience nous autorise aussi à parler de pulsions "inhibées quant au but", dans les cas de processus pour lesquels une certaine progression dans la voie de la satisfaction pulsionnelle est tolérée, mais qui, ensuite, subissent une inhibition ou une dérivation. On peut supposer que même de tels processus ne vont pas sans une satisfaction partielle.

L’objet d’une pulsion

L’objet de la pulsion est ce en quoi ou par quoi la pulsion peut atteindre son but. Il est ce qu’il y a de plus variable dans la pulsion, il ne lui est pas originairement lié : mais ce n’est qu’en raison de son aptitude particulière à rendre possible la satisfaction qu’il est adjoint. Ce n’est pas nécessairement un objet étranger, mais c’est tout aussi bien une partie du corps propre. Il peut être remplacé à volonté tout au long des destins que connaît la pulsion ; c’est à ce déplacement de la pulsion que revient le rôle le plus important. Il peut arriver que le même objet serve simultanément à la satisfaction de plusieurs pulsions : c’est le cas de ce qu’Alfred Adler appelle l’entrecroisement des pulsions. Lorsque la liaison de la pulsion à l’objet est particulièrement intime, nous la distinguons par le terme de fixation. Elle se réalise souvent dans les périodes du tout début du développement de la pulsion et met fin à la mobilité de celle-ci en résistant intensément à toute dissolution.

La source d’une pulsion

Par source de la pulsion, on entend le processus somatique qui est localisé dans un organe ou une partie du corps et dont l’excitation est représentée dans la vie psychique par la pulsion. Nous ne savons pas si ce processus est strictement de nature chimique ou s’il peut aussi correspondre à une libération d’autres forces, mécaniques par exemple. L’étude des sources pulsionnelles déborde le champ de la psychologie ; bien que le fait d’être issu de la source somatique soit l’élément absolument déterminant pour la pulsion, elle ne nous est connue, dans la vie psychique, que par ses buts. Étant donné ce que se propose la recherche psychologique, une connaissance plus exacte des sources pulsionnelles n’est pas rigoureusement indispensable. Parfois on peut remonter avec certitude des buts de la pulsion à ses sources.

Devons-nous admettre que les différentes pulsions issues du corporel et agissant sur le psychique se distinguent aussi par des qualités différentes et que c’est pour cette raison qu’elles se comportent dans la vie psychique d’une façon qualitativement différente ? Cela ne semble pas justifié ; il nous suffit plutôt d’admettre simplement que les pulsions sont toutes semblables qualitativement et doivent leur effet uniquement aux quantités d’excitation qu’elles portent, et peut-être aussi à certaines fonctions de cette quantité. Ce qui distingue les uns des autres les effets psychiques des diverses pulsions se laisse ramener à la différence des sources pulsionnelles. En tout cas, ce n’est que dans un autre contexte que nous pourrons ultérieurement élucider la signification du problème de la qualité des pulsions.

Combien peut-on poser de pulsions ? et lesquelles ? Ici, de toute évidence, l’arbitraire a le champ libre. On ne peut rien objecter à celui qui emploie le concept d’une pulsion de jeu, d’une pulsion de destruction, d’une pulsion grégaire quand l’objet l’exige et qu’on reste dans les limites de l’analyse psychologique. Mais on ne devrait pas négliger de se demander si ces motivations pulsionnelles, si spécialisées en un sens, n’admettent pas une dissection plus poussée en direction des sources pulsionnelles, en sorte que seules les pulsions originaires pourraient prétendre avoir une importance.

[1Les intertitres sont ajoutés au texte de Freud (jld)

S. Freud, « Pulsions et destin des pulsions », in Métapsychologie, Gallimard, coll. Idées, pp.18-21