Sérénus expose son cas à Sénèque (Prologue) :

« (…) Dans l’état que je saisis le plus souvent en moi (pourquoi ne pas te dire la vérité comme on la dit à un médecin ?), je ne suis ni franchement délivré de mes craintes et de mes haines d’antan, ni en butte à ces passions ; la situation où je me trouve, sans être la pire de toutes, est surtout gémissante et chagrine ; je ne suis ni malade, ni bien portant (…). Cette faiblesse d’une âme, hésitante entre les deux partis, qui ne tend avec force ni au bien ni au mal, je ne puis te dire d’un coup en quoi elle consiste, je puis te la montrer en détail. Je vais te dire les symptômes et tu trouveras un nom à la maladie. »

Suit une description, par Sérénus, de ses « symptômes » : il aime la simplicité, aussi bien dans ses vêtements, dans sa nourriture, dans l’ameublement de sa maison. Et pourtant (Prologue, 9-18) : « Moi qui sort d’un long séjour du côté de la sobriété, ce luxe avec tout son éclat m’enveloppe et m’étourdit. Sa vue m’éblouit quelque peu ; il m’est plus facile d’en supporter la pensée que d’y porter mes regards. Aussi je rentre chez moi non pas corrompu mais préoccupé ; je ne m’avance plus d’une façon aussi altière au milieu de mes pauvres meubles ; une secrète morsure s’insinue en moi ; je me demande si ces belles choses ne valent pas mieux ; il n’en est aucune qui me transforme, il n’en est pourtant pas une qui ne m’ébranle (…)
C’est pourquoi, si tu as quelque remède pour arrêter ce flottement en moi, je te demande de croire que je mérite de te devoir la tranquillité. Ces mouvements de l’âme ne sont pas vraiment dangereux et n’ont rien d’alarmant, je le sais bien. Pour t’exprimer par une image précise ce dont je me plains, je ne suis pas en butte à la tempête, mais je souffre du mal de mer (…) ».

Sénèque décrit le mode de vie de Sérénus (II, 6-7) :

« Tous sont dans le même cas, ceux qui sont perpétuellement en proie aux sautes d’humeur et au dégoût, qui changent continuellement de dessein, et qui préfèrent toujours ce qu’ils ont quitté, aussi bien que les engourdis et les indolents. Ajoutes-y ceux qui se tournent et se retournent comme les gens qui ont le sommeil difficile ; ils pressent une position, puis une autre, jusqu’à ce que la fatigue leur fasse trouver le repos ; ils inaugurent successivement plusieurs genres de vie et ils s’installent finalement dans celui où les surprend non pas la répugnance pour le changement mais la vieillesse, qui n’a plus l’énergie d’innover (…). Innombrables sont ces symptômes ; mais ils ont un seul effet, c’est le mécontentement de soi. Cela naît d’un déséquilibre de l’âme, de désirs timides et sans succès, chez les gens qui n’osent pas ou qui n’obtiennent pas autant qu’ils désirent ; se donnant tout entiers à l’espoir, ils sont changeant et mobiles, comme il sied à des esprits en équilibre instable. »

Sénèque répond (II, 3-4) :

« Ce que tu cherches, c’est une grande chose, une chose souveraine, toute proche de la divinité, c’est d’être inébranlable ; c’est cette assiette stable de l’âme, appelée en grec euthymia (…). Et que j’appelle tranquillité. Nous allons donc chercher comment l’âme peut avoir une démarche égale et avancer d’un cours heureux, comment elle peut s’accorder sa propre estime et envisager avec contentement tout ce qui lui appartient, comment elle peut éprouver une joie ininterrompue et persister dans cet état paisible, sans s’exalter ni se déprimer : ce sera là la tranquillité. »