Leibniz

Je suis ce moi qui a été dans le berceau, même si je ne m’en souviens pas.

Leibniz répond ici au texte suivant de Locke : La conscience seule constitue le soi.

Je ne voudrais point dire non plus que l’identité personnelle et même le soi ne demeurent point en nous et que je ne suis point ce moi qui ai été dans le berceau, sous prétexte que je ne me souviens plus de rien de tout ce que j’ai fait alors. Il suffit pour trouver l’identité morale par soi-même qu’il y ait une moyenne liaison de conscienciosité [1] d’un état voisin ou même un peu éloigné à l’autre, quand quelque saut ou intervalle oublié y serait mêlé. Ainsi, si une maladie avait fait une interruption de la continuité de la liaison de conscienciosité, en sorte que le ne susse point comment je serais devenu dans l’état présent, quoique je me souviendrais des choses plus éloignées, le témoignage des autres pourrait remplir le vide de ma réminiscence. On me pourrait même punir sur ce témoignage, si je venais de faire quelque mal de propos délibéré dans un intervalle, que j’eusse oublié un peu après par cette maladie. Et si je venais à oublier toutes les choses passées, et serais obligé de me laisser enseigner de nouveau jusqu’à mon nom et jusqu’à lire et écrire, je pourrais toujours apprendre des autres ma vie passée dans mon précédent état, comme j’ai gardé mes droits, sans qu’il soit nécessaire de me partager en deux personnes, et de me faire héritier de moi-même. Et tout cela suffit pour maintenir l’identité morale qui fait la même personne.

[1d’état conscient.

Gottfried Wilhelm Leibniz, Nouveaux Essais sur l’entendement humain (1703), Livre II, chap. 27, GF, pp. 201-202.