Leibniz

Y a-t-il dans les animaux une âme sensitive ?

« Y a-t-il dans les animaux quelque substance incorporelle qu’on puisse appeler âme sensitive ? On doit le rechercher expérimentalement, car c’est une question de fait. Il est certain cependant, si je ne me trompe, que Dieu aurait pu créer quelque machine semblable à un animal, faisant agir sans conscience toutes les fonctions, ou certainement, plusieurs de celles que nous voyons chez les animaux. Ce qu’il aura fait, nul ne peut l’affirmer avec certitude sans révélation. Mais qu’au contraire il y ait une âme sensitive chez les animaux, on ne peut l’assurer non plus que si l’on cite des phénomènes inexplicables mécaniquement. Sans aucun doute, si l’on me présente un singe qui joue de ruses et fait une guerre de voleur ou le jeu des sacs, et même contre un homme et avec succès, je suis forcé d’avouer qu’il y a en lui quelque chose de plus qu’une machine. Mais à partir de ce moment aussi, je commencerai à devenir pythagoricien et je condamnerai avec Porphyre la nourriture carnivore et la tyrannie exercée par les hommes sur les animaux. Mais je ferai aussi des prévisions à l’égard des animaux sur l’endroit où ils seront après la mort, car aucune substance incorporelle ne peut être détruite (...). Il m’arrive ce qui arrive à tous les modérés : de paraître aux deux partis extrêmes trop pencher vers leurs adversaires ».
 

Leibniz, Lettre à Conring, mars 1678, Oeuvres choisies éditées par Lucy Prenant, Aubier-Montaigne, 1972, p. 126.