Ethique III - Définition générale des affects

  • 23 mai 2004

Une Affection, dite Passion de l’Âme, est une idée confuse par laquelle l’Âme affirme une force d’exister de son Corps, ou d’une partie d’icelui, plus grande ou moindre qu’auparavant, et par la présence de laquelle l’Âme elle-même est déterminée à penser à telle chose plutôt qu’à telle autre.

EXPLICATION

Je dis en premier lieu qu’une Affection ou passion de l’âme est une idée confuse. Nous avons montré en effet que l’Âme est passive (Prop. 3) en tant seulement qu’elle a des idées inadéquates ou confuses. Je dis ensuite par laquelle l’Âme affirme une force d’exister de son Corps ou d’une partie d’icelui plus grande ou moindre qu’auparavant. Toutes les idées de corps que nous avons, indiquent plutôt en effet l’état actuel de notre Corps (Coroll. 2 de la Prop. 16, p. II) que la nature du Corps extérieur ; et celle qui constitue la force d’une affection doit indiquer ou exprimer l’état qu’a le Corps ou une de ses parties, par suite de ce que sa puissance d’agir ou sa force d’exister est accrue ou diminuée, secondée ou réduite. On doit noter toutefois que, si je dis force d’exister plus grande ou moindre qu’auparavant, je n’entends point par là que l’Âme compare l’état présent du Corps avec le passé, mais que l’idée constituant la forme de l’affection affirme du Corps quelque chose qui enveloppe effectivement plus ou moins de réalité qu’auparavant. Et comme l’essence de l’Âme consiste (Prop. 11 et 13, p. II) en ce qu’elle affirme l’existence actuelle de son Corps, et que par perfection nous entendons l’essence même d’une chose, il suit donc que l’Âme passe à une perfection plus grande ou moindre, quand il lui arrive d’affirmer de son Corps ou d’une partie d’icelui quelque chose qui enveloppe plus ou moins de réalité qu’auparavant. Quand donc j’ai dit plus haut que la puissance de penser de l’Âme était accrue ou diminuée, je n’ai rien voulu entendre, sinon que l’Âme avait formé de son Corps, ou d’une partie d’icelui, une idée exprimant plus ou moins de réalité qu’elle n’en avait précédemment affirmé de son Corps. Car on estime la valeur des idées et la puissance actuelle de penser suivant la valeur de l’objet. J’ai ajouté enfin que par la présence de cette idée l’Âme est déterminée à penser à telle chose plutôt qu’à telle autre, afin d’exprimer, outre la nature de la Tristesse ou de la Joie, celle aussi du Désir. [*]

FIN DE LA TROISIEME PARTIE


AFFECTUUM GENERALIS DEFINITIO

Affectus qui animi pathema dicitur, est confusa idea qua mens majorem vel minorem sui corporis vel alicujus ejus partis existendi vim quam antea affirmat et qua data ipsa mens ad hoc potius quam ad illud cogitandum determinatur.

EXPLICATIO :

Dico primo affectum seu passionem animi esse confusam ideam. Nam mentem eatenus tantum pati ostendimus (vide propositionem 3 hujus) quatenus ideas inadæquatas sive confusas habet. Dico deinde "qua mens majorem vel minorem sui corporis vel alicujus ejus partis existendi vim quam antea affirmat". Omnes enim corporum ideæ quas habemus magis nostri corporis actualem constitutionem (per corollarium II propositionis 16 partis II) quam corporis externi naturam indicant ; at hæc quæ affectus formam constituit, corporis vel alicujus ejus partis constitutionem indicare vel exprimere debet quam ipsum corpus vel aliqua ejus pars habet ex eo quod ipsius agendi potentia sive existendi vis augetur vel minuitur, juvatur vel coercetur. Sed notandum cum dico "majorem vel minorem existendi vim quam antea", me non intelligere quod mens præsentem corporis constitutionem cum præterita comparat sed quod idea quæ affectus formam constituit, aliquid de corpore affirmat quod plus minusve realitatis revera involvit quam antea. Et quia essentia mentis in hoc consistit (per propositiones 11 et 13 partis II) quod sui corporis actualem existentiam affirmat et nos per perfectionem ipsam rei essentiam intelligimus, sequitur ergo quod mens ad majorem minoremve perfectionem transit quando ei aliquid de suo corpore vel aliqua ejus parte affirmare contingit quod plus minusve realitatis involvit quam antea. Cum igitur supra dixerim mentis cogitandi potentiam augeri vel minui, nihil aliud intelligere volui quam quod mens ideam sui corporis vel alicujus ejus partis formaverit quæ plus minusve realitatis exprimit quam de suo corpore affirmaverat. Nam idearum præstantia et actualis cogitandi potentia ex objecti præstantia æstimatur. Addidi denique "et qua data ipsa mens ad hoc potius quam ad illud cogitandum determinatur" ut præter lætitiæ et tristitiæ naturam quam prima definitionis pars explicat, cupiditatis etiam naturam exprimerem.


[*(Saisset :) Ce genre d’affection qu’on appelle passion de l’âme, c’est une idée confuse par laquelle l’âme affirme que le corps ou quelqu’une de ses parties a une puissance d’exister plus grande ou plus petite que celle qu’il avait auparavant, laquelle puissance étant donnée, l’âme est déterminée à penser à telle chose plutôt qu’à telle autre. Explication Je dis d’abord qu’une passion c’est une idée confuse ; car nous avons vu (Propos. 3) que l’âme ne pâtit qu’en tant qu’elle a des idées inadéquates ou confuses. Je dis ensuite : par laquelle l’âme affirme que le corps ou quelqu’une de ses parties a une puissance d’exister plus grande ou plus petite que celle qu’il avait auparavant ; car toutes les idées que nous avons des corps marquent bien plutôt (par le Coroll. 2 de la Propos. 16, partie 2) la constitution actuelle de notre propre corps que celle des corps extérieurs, et l’idée qui constitue l’essence ou forme de telle ou telle passion doit exprimer la constitution de notre corps ou de quelqu’une de ses parties, en tant que sa puissance d’agir ou d’exister est augmentée ou diminuée, favorisée ou contrariée. Mais il est nécessaire de remarquer que quand je dis une puissance d’exister plus grande ou plus petite que celle qu’il avait auparavant, je n’entends pas dire que l’âme compare la constitution actuelle du corps avec la précédente, mais seulement que l’idée qui constitue l’essence de telle ou telle passion affirme du corps quelque chose qui enveloppe plus ou moins de réalité que le corps n’en avait auparavant. Or, comme l’essence de l’âme consiste (par les Propos. 11 et 13, part. 2) en ce qu’elle affirme l’existence actuelle de son corps, et que par perfection d’une chose nous entendons son essence même, il s’ensuit que l’âme passe a une perfection plus grande ou plus petite quand il lui arrive d’affirmer de son corps quelque chose qui enveloppe une réalité plus grande ou plus petite que celle qu’il avait auparavant. Lors donc que j’ai dit plus haut que la puissance de penser de l’âme était augmentée ou diminuée, je n’ai voulu dire autre chose sinon que l’âme se formait de son corps ou de quelqu’une de ses parties une idée qui enveloppait plus ou moins de vérité et de perfection qu’elle n’en affirmait précédemment ; car la supériorité des idées et la puissance actuelle de penser se mesurent sur la supériorité des objets pensés. Enfin, j’ai ajouté : laquelle puissance étant donnée, l’âme est déterminée à penser à telle chose plutôt qu’à telle autre, afin de ne pas exprimer seulement la nature de la joie et de la tristesse, laquelle est contenue dans la première partie de la définition, mais aussi celle du désir.