Second dialogue

se rattachant pour une part à ce qui précède ; pour une autre part à la deuxième partie ci-après.

  • 18 juillet 2006


(1) Érasme. - Je t’ai entendu dire, Théophile, que Dieu est cause de toutes choses ; et avec cela qu’il ne peut être une cause d’autre sorte qu’une cause Immanente. S’il est ainsi cause immanente de toutes choses comment peux-tu donc l’appeler une cause éloignée ? car cela est impossible à une cause immanente.

(2) Théophile. - Si je dis que Dieu est une cause éloignée, c’est seulement en ayant égard aux choses que Dieu [n’] a [pas] [*] produites immédiatement par sa seule existence, indépendamment de toutes circonstances ; mais ce n’est pas du tout que je l’aie nommé une cause éloignée an sens absolu ; ce que tu aurais pu déduire clairement de mes paroles, car j’ai aussi dit que nous pouvions le nommer une cause éloignée en une certaine manière.

(3) Érasme. - Je comprends maintenant suffisamment ce que tu veux me dire ; mais je remarque aussi que tu as dit : l’effet d’une cause intérieure reste uni de telle sorte à sa cause qu’ensemble avec cette dernière il forme un tout ; et s’il en est ainsi Dieu, ce qu’il me semble, n’est pas une cause immanente ; car si lui et ce qui est produit par lui forment ensemble un tout, tu attribues à Dieu plus d’essence à un moment du temps qu’à un autre. Ôte-moi ce doute, je te prie.

(4) Théophile. - Si tu veux, Érasme, sortir de cette confusion, fais grande attention à une chose que je vais te dire maintenant. L’essence d’une chose ne s’accroît pas par son union avec une autre chose, avec laquelle elle forme un tout, mais, au contraire, la première reste alors sans changement.

(5) Je veux pour que tu me comprennes mieux te donner un exemple. Un sculpteur a fait diverses figures de bois qui ressemblent aux parties d’un corps humain ; il en prend une qui a la figure d’une poitrine humaine et la joint à une autre qui a la figure d’une tête humaine et de ces deux fait un tout qui représente la partie supérieure d’un corps humain. Diras-tu maintenant pour cela que l’essence de la tête s’est accrue par son union avec la poitrine ? Cela est faux, car elle est la même qu’elle était auparavant.

(6) Pour plus de clarté je te donnerai encore un autre exemple, savoir l’idée que j’ai d’un triangle et une autre qui se forme par le prolongement [d’un côté] d’un des angles, en conséquence de quoi l’angle [extérieur] ainsi formé est nécessairement égal aux deux angles intérieurs non adjacents, etc. Ces idées, dis-je, en ont produit une troisième, à savoir que les trois angles du triangle égalent deux droits, et cette idée est unie à la première de telle façon qu’elle ne peut sans cette dernière exister ni être conçue.

(7) < Et de toutes ces idées qu’a chacun nous formons un tout ou, ce qui est la même chose, un être de raison que nous appelons Entendement [**] >. Tu vois bien maintenant qu’en dépit de l’union de cette nouvelle idée à la précédente, aucun changement ne survient dans l’essence de cette dernière, mais qu’au contraire elle reste sans le moindre changement. Tu peux aussi le voir au sujet de chaque idée qui, en elle-même, produit de l’amour ; car cet amour n’a en aucune façon pour effet que l’essence de cette idée s’accroisse.

(8) Mais à quoi bon accumuler tant d’exemples puisque tu peux le voir toi-même clairement dans ce qui est figuré par les exemples et est l’objet même de notre discours. J’ai dit distinctement que tous les attributs, qui ne dépendent d’aucune autre cause et pour la définition desquels nul genre n’est nécessaire, appartiennent à l’essence de Dieu, et, comme les choses créées ne peuvent former un attribut, elles n’accroissent pas non plus l’essence de Dieu, si étroite que soit leur union avec lui.

(9) Ajoute encore que le Tout est seulement un être de Raison et ne diffère du général qu’en ceci seulement que le général est formé d’individus distincts non réunis et le Tout d’individus réunis, et en ceci encore que le général ne comprend que des parties du même genre, tandis que le tout comprend des parties du même genre et d’un autre genre.

(10) Érasme. - Pour ce qui concerne ce point tu m’as satisfait. Mais, en outre, tu as dit encore que l’effet d’une cause interne ne peut pas périr aussi longtemps que dure sa cause ; ce que je vois bien qui est certainement vrai ; mais s’il en est ainsi, comment Dieu peut-il encore être cause interne de toutes choses alors que beaucoup d’entre elles périssent ? Je dirais bien, selon la distinction précédemment établie, que Dieu est proprement cause de ces effets seulement qu’il a produits immédiatement par ses seuls attributs sans autres circonstances, et que ceux-là ne peuvent périr aussi longtemps que dure leur cause ; qu’en revanche, tu n’appelles pas Dieu cause interne des effets dont l’existence ne dépend pas de lui immédiatement mais qui sont provenus d’autres choses quelconques (sauf en tant que leurs causes n’agissent pas et ne peuvent agir sans Dieu ou en dehors de lui) et peuvent périr précisément parce qu’elles ne sont pas produites immédiatement par Dieu.

(11) Cela cependant ne me satisfait pas ; car je vois que tu conclus que l’entendement humain est immortel parce qu’il est un effet que Dieu en lui-même a produit. Il est impossible alors que, pour la production d’un tel entendement, quelque chose de plus soit nécessaire que seulement les attributs de Dieu ; car, pour qu’il soit un être d’une si éminente perfection, il faut, qu’aussi bien que toutes les autres choses dépendant de Dieu immédiatement, il soit créé de toute éternité. Et si je ne me trompe je te l’ai entendu dire. Et cela étant ainsi, comment l’éclairciras-tu sans laisser subsister de difficultés ?

(12) Théophile. - Il est vrai, Érasme, que les choses qui n’ont besoin de rien d’autre pour exister que, seulement, les attributs de Dieu, sont créées de toute éternité. Mais il est à observer que même s’il est nécessaire que, pour l’existence d’une chose, quelque modification particulière soit requise et [ainsi] quelque chose de plus que les attributs de Dieu, Dieu ne laisse cependant pas pour cela de la pouvoir produire immédiatement. Car parmi les choses qui sont requises pour faire qu’une chose soit, quelques-unes le sont pour produire la chose et d’autres pour qu’elle puisse être produite. Je veux, par exemple, avoir de la lumière dans une certaine chambre ; j’allume [un flambeau] qui éclaire la chambre par lui-même ; ou bien j’ouvre une fenêtre, et cette ouverture par elle-même ne produit pas de lumière, mais fait que la lumière peut pénétrer dans la chambre. De même pour le mouvement d’un corps est requis un autre corps lequel doit avoir tout le mouvement qui passe de l’un à l’autre. Mais, pour produire en nous une idée de Dieu [***], nulle autre chose particulière possédant ce qui est produit en nous n’est requise ; il faut seulement qu’il y ait dans la Nature un certain corps tel, que l’idée en étant posée, Dieu se révèle immédiatement [****]. Et tu pouvais déduire cela de mes paroles quand j’ai dit que Dieu seul est connu par lui-même et non par quelque autre cause.

(13) Je te le dis cependant : aussi longtemps que nous n’avons pas de Dieu une idée d’une clarté telle, et nous unissant à lui d’une façon telle, qu’elle rende impossible que nous aimions quelque chose en dehors de lui, nous ne pouvons pas dire que nous soyons en vérité unis à Dieu et dépendions de lui immédiatement. Et ce que tu pourrais avoir encore à me demander, renvoie-le à un autre moment, car la présente conjoncture m’oblige à une autre occupation. Porte-toi bien.

(14) Érasme. - Pour le moment non, mais je m’occuperai de ce que tu viens de me dire jusqu’à une autre occasion et te recommanderai à Dieu.



[*La négation ajoutée entre crochets paraît nécessaire au sens.

[**Cette phrase est mise entre crochets par van Vloten et Land. Elle paraît en effet interpolée.

[***Le corps, dont il va être question, ne ressemble pas au flambeau qui éclaire par lui-même, mais à la fenêtre ouverte par où la lumière peut entrer ; au contraire, quand il s’agit d’un mouvement à produire, le corps qui se meut n’est plus seulement condition, mais cause productrice.

[****Sans modifier ici le texte, je le traduis un peu librement pour le rendre intelligible (Voir note explicative).

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