TTP - chap.I - §§26-31 : C’est par la seule imagination que les prophètes ont perçu les révélations.

  • 20 novembre 2005


[26] Par tous ces exemples s’éclaircissent, pour revenir à notre propos, ces phrases de l’Écriture : le Prophète a eu en lui l’Esprit de Dieu, Dieu a fait descendre son Esprit dans les hommes ; les hommes sont pleins de l’Esprit de Dieu et de l’Esprit Saint, etc. Elles signifient simplement que les Prophètes avaient une vertu singulière et au-dessus du commun [1] et qu’ils pratiquaient la piété avec une constance extraordinaire. Que, de plus, ils percevaient la manière de penser ou de juger de Dieu : nous avons montré en effet que Esprit, en hébreu, signifie également âme et jugement de l’âme et que, pour ce motif, la Loi elle-même, qui exprimait une pensée de Dieu, s’appelait Esprit et pensée de Dieu ; au même titre l’imagination des Prophètes, en tant que les décrets de Dieu étaient révélés par elle, pouvait être appelée aussi l’Esprit et la pensée de Dieu, et l’on pouvait dire que les Prophètes avaient la pensée de Dieu. Et bien que dans notre âme aussi la pensée de Dieu et ses jugements éternels soient écrits, et qu’en conséquence nous aussi percevions la pensée de Dieu (pour parler comme l’Écriture), la connaissance naturelle, étant commune à tous, n’a pas, comme nous l’avons dit, autant de prix pour les hommes et surtout pour les Hébreux qui avaient la prétention d’être au-dessus de tous et qui même, par voie de conséquence, avaient accoutumé de mépriser la science commune à tous. Enfin on disait que les Prophètes avaient l’Esprit de Dieu parce que les hommes ignoraient les causes de la connaissance prophétique et en étaient étonnés et, pour cette raison, avaient accoutumé de la rapporter à Dieu comme toute chose prodigieuse et de l’appeler connaissance de Dieu.

[27] Nous pouvons donc affirmer sans scrupule que les Prophètes n’ont perçu de révélation de Dieu qu’avec le secours de l’imagination, c’est-à-dire au moyen de paroles, d’images, tantôt réelles, tantôt imaginaires. Car, ne trouvant pas d’autres moyens que ceux-là dans l’Écriture, il ne nous est pas permis, nous l’avons montré, d’en forger d’autres. Quant aux Lois de la Nature par lesquelles cette révélation s’est faite, j’avoue les ignorer. Je pourrais sans doute, comme d’autres, dire que c’est par la puissance de Dieu, mais je croirais ainsi dire des paroles vaines. Cela reviendrait en effet à vouloir expliquer la forme de quelque objet singulier par quelque terme transcendantal. Tout en effet a été produit par la puissance de Dieu. Bien plus la puissance de la nature n’étant rien que la puissance même de Dieu, il est certain que dans la mesure où nous ignorons les causes naturelles, nous ne connaissons pas la puissance de Dieu ; il est donc insensé d’y recourir, quand nous ignorons la cause naturelle d’une chose, c’est-à-dire la puissance même de Dieu. Mais point n’est besoin que nous sachions la cause de la connaissance prophétique. Suivant l’avertissement donné plus haut, nous nous appliquons ici à la recherche des enseignements qui se trouvent dans l’Écriture pour en tirer notre conclusion, comme nous le ferions de données naturelles ; quant aux causes de ces enseignements, nous ne nous en occupons pas.

[28] Puis donc que les Prophètes ont perçu ce que Dieu leur a révélé à l’aide de l’imagination, on ne peut douter qu’ils n’aient perçu beaucoup de choses situées hors des limites de l’entendement, car avec des paroles et des images on peut composer beaucoup plus d’idées qu’avec les seuls principes et notions de l’entendement, sur lesquels se fonde toute notre connaissance naturelle.

[29] On voit, par suite, pourquoi les Prophètes ont presque toujours perçu et enseigné tontes choses sous forme de paraboles et d’énigmes et pourquoi ils ont donné des choses spirituelles une expression corporelle ; tout cela s’accorde mieux avec la nature de l’imagination. Nous ne nous étonnerons pas non plus de trouver dans l’Écriture ou les Prophètes un langage aussi impropre et obscur sur l’Esprit et la pensée de Dieu que celui des Nombres (chap. XI, v. 17) et des Rois (chap. XXII, v. 2, etc.). Ni que Michée ait vu Dieu assis, Daniel sous la forme d’un vieillard vêtu de vêtements blancs, Ézéchiel comme un grand feu, ni que les disciples du Christ aient vu l’Esprit saint descendant comme une colombe, les Apôtres sous forme de langues de feu, que Paul enfin, lors de sa conversion, ait vu une grande lumière. Toutes ces visions s’accordent pleinement avec les imaginations vulgaires sur Dieu et les Esprits.

[30] Enfin, comme l’imagination est vague et inconstante, la Prophétie ne restait pas longtemps présente aux Prophètes et n’était pas fréquente mais extrêmement rare, c’est-à-dire n’était donnée qu’à un très petit nombre d’hommes, et même chez eux ne se produisait que rarement.

[31] Puisqu’il en est ainsi, nous devons rechercher d’où les Prophètes ont pu tirer la certitude de ce qu’ils percevaient seulement par l’imagination et non par des principes certains de la pensée. Tout ce qu’on peut dire à ce sujet toutefois, doit également être tiré de l’Écriture, puisque (nous l’avons déjà dit) nous n’en avons pas une science vraie, c’est-à-dire que nous ne pouvons l’expliquer par ses premières causes. Je vais d’ailleurs montrer dans le chapitre suivant où je traiterai des Prophètes quel est l’enseignement de l’Écriture touchant la certitude des Prophètes.


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