Traité politique, II, §03

  • 27 septembre 2004


Sachant donc que la puissance par laquelle existent et agissent les êtres de la nature est la puissance même de Dieu, nous connaissons facilement ce qu’est le droit de nature.
Puisqu’en effet, Dieu a droit sur toutes choses et que le droit de Dieu n’est rien d’autre que la puissance même de Dieu en tant qu’elle est considérée dans sa liberté absolue, tout être dans la nature tient de la nature autant de droit qu’il a de puissance pour exister et agir [1] : la puissance par laquelle existe et agit un être quelconque de la nature, n’est autre chose en effet que la puissance même de Dieu dont la liberté est absolue [2].


Traduction Saisset :

Ce point une fois établi, savoir que la puissance des choses de la nature en vertu de laquelle elles existent et agissent est la propre puissance de Dieu, il est aisé de comprendre ce que c’est que le droit naturel.

En effet, Dieu ayant droit sur toutes choses, et ce droit de Dieu étant la puissance même de Dieu, en tant qu’elle est considérée comme absolument libre, il suit de là que chaque être a naturellement autant de droit qu’il a de puissance pour exister et pour agir. En effet, cette puissance n’est autre que la puissance même de Dieu, laquelle est absolument libre.


Hinc igitur, quod scilicet rerum naturalium potentia, qua existunt et operantur, ipsissima Dei sit potentia, facile intelligimus, quid ius naturae sit. Nam quoniam Deus ius ad omnia habet et ius Dei nihil aliud est, quam ipsa Dei potentia, quatenus haec absolute libera consideratur, hinc sequitur, unamquamque rem naturalem tantum iuris ex natura habere, quantum potentiae habet ad existendum et operandum ; quandoquidem uniuscuiusque rei naturalis potentia, qua existit et operatur, nulla alia est, quam ipsa Dei potentia, quae absolute libera est.


[1Cette identification du droit naturel et de la puissance se trouve aussi chez Hobbes. Voyez Léviathan, chap.14 ; De Cive, I, 7. Spinoza se distingue de Hobbes puisque pour lui ce droit est celui de toutes choses, alors que pour Hobbes il est spécifiquement humain.

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