Traité politique, II, §12

  • 3 décembre 2004


L’engagement pris en parole envers quelqu’un de faire ou au contraire de ne pas faire telle ou telle chose quand on a le pouvoir d’agir contrairement à la parole donnée, reste en vigueur aussi longtemps que la volonté de celui qui a promis ne change pas. Qui, en effet, a le pouvoir de rompre l’engagement qu’il a pris, ne s’est point dessaisi de son droit, mais a seulement donné des paroles. Si donc celui qui est par droit de nature son propre juge, a jugé droitement ou faussement (il est d’un homme en effet de se tromper) que l’engagement pris aura pour lui des conséquences plus nuisibles qu’utiles et qu’il considère en son âme qu’il a intérêt à rompre l’engagement, il le rompra par droit de nature (par le § 9 de ce chapitre) [1].


Traduction Saisset :

La parole donnée à autrui, quand quelqu’un s’engage, de bouche seulement, à faire telle ou telle chose qu’il était dans son droit de ne pas faire, ou à ne pas faire telle ou telle chose qu’il était dans son droit de faire, cette parole ne reste valable qu’autant que celui qui l’a donnée ne change pas de volonté. Car, s’il a le pouvoir de reprendre sa promesse, il n’a en réalité rien cédé de son droit, il n’a donné que des paroles. Si donc l’individu, qui est son propre juge par droit de nature, a jugé, à tort ou à raison (car l’homme est sujet à l’erreur), qu’il résulte de l’engagement contracté plus de dommage que d’utilité, il estimera qu’il y a lieu de le violer, et en vertu du droit naturel (par l’article 9 du présent chapitre) il le violera.


Fides alicui data, qua aliquis solis verbis pollicitus est, se hoc aut illum facturum, quod pro suo iure omittere poterat, vel contra, tamdiu rata manet, quamdiu eius, qui fidem dedit, non mutatur voluntas. Nam qui potestatem habet solvendi fidem, is revera suo iure non cessit, sed verba tantum dedit. Si igitur ipse, qui naturae iure sui iudex est, iudicaverit, seu recte seu prave (nam errare humanum est), ex fide data plus damni, quam utilitatis sequi, ex suae mentis sententia fidem solvendam esse censet, et naturae iure (per art. 9. huius cap.) eandem solvet.


[1Voyez Traité théologico-politique, chap. 16, §6 ; EIV - Proposition 72 et EIV - Proposition72 - scolie. Pour Hobbes au contraire, donner sa parole est un signe suffisant de sa volonté et crée donc un engagement auquel on ne peut légitimement échapper.

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