Traité politique, II, §20

  • 7 décembre 2004


Nous avons coutume cependant d’appeler aussi péché ce qui se fait contrairement à l’injonction de la saine raison, et obéissance une volonté constante de régler ses appétits suivant les prescriptions de la raison. Je pourrais accepter cela si la liberté humaine consistait dans la licence donnée aux appétits et la servitude dans le gouvernement de la raison. Mais puisque la liberté humaine est d’autant plus grande que l’homme vit davantage sous la conduite de la raison et peut mieux régler ses appétits, nous ne pouvons, sans une très grande impropriété, appeler obéissance une vie raisonnable, et péché, ce qui est en réalité impuissance de l’âme, mais non licence contre elle-même, et qu’il faut appeler bien plutôt esclavage que liberté. (Voir §§ 7 et 11 de ce chapitre.)


Traduction Saisset :

Il est d’usage cependant d’appeler aussi péché ce qui se fait contre le commandement de la saine raison, et obéissance la volonté constante de modérer ses appétits selon les prescriptions de la raison ; à quoi je consentirais volontiers, si la liberté de l’homme consistait dans la licence de l’appétit et sa servitude dans l’empire de la raison. Mais comme la liberté humaine est d’autant plus grande que l’homme est plus capable d’être conduit par la raison et de modérer ses appétits, ce n’est donc qu’improprement que nous pouvons appeler obéissance la vie raisonnable, et péché ce qui est en réalité impuissance de l’âme et non licence, ce qui fait l’homme esclave plutôt que libre. Voyez les articles 7 et 11 du présent chapitre.


Solemus tamen id etiam peccatum appellare, quod contra sanae rationis dictamen fit, et obsequium constantem voluntatem moderandi appetitus ex rationis praescripto ; quod omnino probarem, si humana libertas in appetitus licentia et servitus in rationis imperio consisteret. Sed quia humana libertas eo maior est, quo homo magis ratione duci et appetitus moderari potest, non possumus, nisi admodum improprie, vitam rationalem vocare obsequium, et peccatum id, quod revera mentis impotentia, non autem contra se ipsam licentia est, et per quod homo servus potius, quam liber potest dici. Vide art. 7. et 2. huius cap.

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