Chapitre XIV

Du Regret.

  • 27 août 2006


(1) Le regret est le dernier objet dont nous parlerons dans l’étude des passions, que nous terminerons par lui. Le regret est donc une certaine sorte de tristesse qui naît de la considération d’un bien que nous avons perdu, et cela sans que nous ayons aucun espoir de le retrouver. Il nous fait connaître son imperfection de telle façon que, si seulement nous l’envisageons, nous le déclarons aussitôt mauvais ; car nous avons démontré précédemment qu’il est mauvais de se lier et de s’attacher à des choses qui peuvent aisément ou à quelque moment nous faire défaut et que nous ne pouvons avoir comme nous voulons [*] ; et, puisque c’est une certaine sorte de tristesse, nous devons l’éviter comme nous l’avons déjà remarqué plus haut en traitant de la tristesse [**].

(2) Je crois ainsi avoir suffisamment montré et prouvé qu’il n’appartient qu’à la Croyance Droite ou à la Raison de nous conduire à la connaissance du bien et du mal. Et ainsi quand nous montrerons que la première et principale cause de toutes ces affections est la Connaissance, il apparaîtra clairement que, si nous usons bien de notre entendement et de notre Raison, nous ne tomberons jamais dans une de ces passions qui doivent être rejetées par nous. Je dis : notre entendement parce que je pense que la Raison seule n’a pas le pouvoir de nous délivrer de toutes, ainsi que nous le démontrerons en son lieu.

(3) Il y a cependant encore une chose excellente à remarquer concernant les passions ; à savoir que nous voyons et trouvons que toutes celles qui sont bonnes sont d’une nature telle que nous ne pouvons être et subsister sans elles, et que, par suite, elles nous appartiennent essentiellement, comme l’Amour, le Désir et tout ce qui appartient à l’Amour.
Mais il en est tout autrement de celles qui sont mauvaises et sont à rejeter par nous, puisque non seulement nous pouvons très bien exister sans elles, mais que nous ne sommes tels que nous devons être qu’après que nous nous en sommes affranchis.

(4) Pour apporter encore plus de clarté dans ce sujet, remarquons en outre que le fondement de tout bien et de tout mal est l’Amour en tant qu’il tombe sur un certain objet ; car, si nous n’aimons pas l’objet qui, comme nous l’avons dit précédemment, mérite seul d’être aimé, à savoir Dieu, mais les choses qui, par leur propre caractère ou nature sont périssables, il s’ensuit nécessairement (l’objet étant sujet à tant d’accidents et même à la destruction) de la haine, de la tristesse, etc., après qu’un changement est survenu dans l’objet aimé. De la Haine si quelqu’un ravit à un autre la chose aimée ; de la Tristesse si l’on vient à la perdre ; de l’Honneur si l’on s’appuie sur l’Égoïsme ; de la Faveur et de la Reconnaissance si l’on n’aime pas son prochain pour l’amour de Dieu. Si, au contraire, l’homme parvient à aimer Dieu qui est et demeure toujours immuable, alors il lui est impossible de tomber dans ce bourbier des passions ; à cause de quoi nous posons comme règle fixe et inébranlable que Dieu est la première et unique cause de tout notre bien et un libérateur de tout notre mal.

(5) Il faut remarquer, enfin, que seul l’Amour, etc., est illimité, c’est-à-dire que, plus il s’accroît, plus il devient excellent, puisqu’il tombe sur un objet qui est infini, à cause de quoi il peut toujours s’accroître ; ce qui n’a lieu dans aucune chose autre que celle-là. Et ce sera peut-être là la matière d’où nous tirerons [B : dans le chapitre XXIII ] la démonstration de l’immortalité de l’âme, en même temps que nous montrerons comment et de quelle sorte elle peut être [***].



[*chap.V, §6 (note jld).

[**chap. VII, §2 (note jld).

[***Le chapitre se termine dans les deux manuscrits par une phrase qui ne se trouve ni dans Schaarschmidt ni dans l’édition van Vloten et Land. Je la traduis d’après Sigwart et W. Meijer :
Ayant ainsi parlé jusqu’ici de tout ce que nous enseigne la troisième sorte d’effets de la croyance vraie, nous poursuivrons maintenant et traiterons de son quatrième et dernier effet qui n’a pas été indiqué précédemment (chapitre IV).
On observera qu’il est fait mention de cet effet dans la note 2 du chapitre IV, laquelle ne se trouve pas dans l’édition Sigwart.

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