EIII - Proposition 39 - scolie

  • 20 mai 2004

Par bien j’entends ici tout genre de Joie et tout ce qui, en outre, y mène, et principalement ce qui remplit l’attente, quelle qu’elle soit. Par mal j’entends tout genre de Tristesse et principalement ce qui frustre l’attente. Nous avons en effet montré ci-dessus (Scolie de la Prop. 9) que nous ne désirons aucune chose parce que nous la jugeons bonne, mais qu’au contraire nous appelons bonne la chose que nous désirons ; conséquemment, nous appelons mauvaise la chose que nous avons en aversion ; chacun juge ainsi ou estime selon son affection quelle chose est bonne, quelle mauvaise, quelle meilleure, quelle pire, quelle enfin la meilleure ou quelle la pire. Ainsi l’Avare juge que l’abondance d’argent est ce qu’il y a de meilleur, la pauvreté ce qu’il y a de pire. L’Ambitieux ne désire rien tant que la Gloire et ne redoute rien tant que la Honte. A l’Envieux rien n’est plus agréable que le malheur d’autrui, et rien plus insupportable que le bonheur d’un autre ; et ainsi chacun juge par son affection qu’une chose est bonne ou mauvaise, utile ou inutile. Cette affection d’ailleurs par laquelle l’homme est disposé de telle sorte qu’il ne veut pas ce qu’il veut, ou veut ce qu’il ne veut pas, s’appelle la Peur ; la Peur n’est donc autre chose que la crainte en tant qu’elle dispose un homme à éviter un mal qu’il juge devoir venir par un mal moindre (voir Prop. 28). Si le mal dont on a peur est la Honte, alors la Peur s’appelle Pudeur. Enfin, si le Désir d’éviter un mal futur est réduit par la Peur d’un autre mal, de façon qu’on ne sache plus ce qu’on veut, alors la crainte s’appelle Consternation, principalement quand l’un et l’autre maux dont on a peur sont parmi les plus grands. [*]


Per bonum hic intelligo omne genus lætitiæ et quicquid porro ad eandem conducit et præcipue id quod desiderio qualecunque illud sit, satisfacit. Per malum autem omne tristitiæ genus et præcipue id quod desiderium frustratur. Supra enim (in scholio propositionis 9 hujus) ostendimus nos nihil cupere quia id bonum esse judicamus sed contra id bonum vocamus quod cupimus et consequenter id quod aversamur malum appellamus ; quare unusquisque ex suo affectu judicat seu æstimat quid bonum, quid malum, quid melius, quid pejus et quid denique optimum quidve pessimum sit. Sic avarus argenti copiam optimum, ejus autem inopiam pessimum judicat. Ambitiosus autem nihil æque ac gloriam cupit et contra nihil æque ac pudorem reformidat. Invido deinde nihil jucundius quam alterius infelicitas et nihil molestius quam aliena felicitas ac sic unusquisque ex suo affectu rem aliquam bonam aut malam, utilem aut inutilem esse judicat. Cæterum hic affectus quo homo ita disponitur ut id quod vult nolit vel ut id quod non vult velit, timor vocatur, qui proinde nihil aliud est quam metus quatenus homo ab eodem disponitur ad malum quod futurum judicat, minore vitandum (vide propositionem 28 hujus). Sed si malum quod timet pudor sit, tum timor appellatur verecundia. Denique si cupiditas malum futurum vitandi coercetur timore alterius mali ita ut quid potius velit, nesciat, tum metus vocatur consternatio præcipue si utrumque malum quod timetur ex maximis sit.


[*(Saisset :) Par bien, j’entends ici tout genre de joie et tout ce qui peut y conduire, particulièrement ce qui satisfait un désir quel qu’il soit ; par mal, tout genre de tristesse, et particulièrement ce qui prive un désir de son objet. Nous avons en effet montré plus haut (dans le Scol. de la Propos. 9) que nous ne désirons aucune chose par cette raison que nous la jugeons bonne, mais au contraire que nous appelons bonne la chose que nous désirons ; et en conséquence, la chose qui nous inspire de l’aversion, nous l’appelons mauvaise ; de façon que chacun juge suivant ses passions de ce qui est bien ou mal, de ce qui est meilleur ou pire, de ce qu’il y a de plus excellent ou de plus méprisable. Ainsi, pour l’avare, le plus grand bien, c’est l’abondance d’argent, et le plus grand mal c’en est la privation. L’ambitieux ne désire rien à l’égal de la gloire, et ne redoute rien à l’égal de la honte. Rien de plus doux à l’envieux que le malheur d’autrui, ni de plus incommode que son bonheur ; et c’est ainsi que chacun juge d’après ses passions telle chose bonne ou mauvaise, utile ou inutile. Cette passion qui met l’homme dans une telle disposition qu’il ne veut pas ce qu’il veut, ou qu’il veut ce qu’il ne veut pas, se nomme crainte ; et la crainte n’est donc que cette passion qui dispose l’homme à éviter un plus grand mal qu’il prévoit par un mal plus petit (voy. la Propos. 28). Si le mal que l’on craint c’est la honte, alors la crainte se nomme pudeur. Enfin, si le désir d’éviter un mal à venir est empêché par la crainte d’un autre mal, de telle façon que l’âme ne sache plus ce qu’elle préfère, alors la crainte se nomme consternation, surtout si l’un des deux maux qu’on redoute est entre les plus grands qu’on puisse appréhender.

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