TTP - chap.VIII - §§11-12 : L’examen de l’enchaînement interne des douze premiers livres de la Bible montre qu’ils ont un unique auteur : Esdras.

  • 10 avril 2006


[11] Concluons que tous les livres passés en revue jusqu’à présent sont écrits par d’autres que ceux dont ils portent le nom, et que les récits qu’ils contiennent se rapportent à des choses anciennes. Si maintenant nous avons égard à l’enchaînement, et au contenu de tous ces livres, il en ressortira aisément pour nous qu’ils ont tous été écrits par un seul et même historien, lequel voulut raconter l’histoire ancienne des Juifs depuis leur première origine jusqu’à la première dévastation de la ville. Ces livres en effet s’enchaînent de telle sorte qu’à cela seul on peut connaître qu’ils contiennent le récit d’un seul historien. Sitôt qu’il a fini de raconter la vie de Moïse, il passe ainsi à l’histoire de Josué : Et il arriva après la mort de Moïse, serviteur de Dieu, que Dieu dit à Josué, etc. Quand il a achevé de raconter la mort de Josué, il passé de la même manière à l’histoire des Juges et la relie de même à la précédente : Et il arriva après que Josué fut mort que les fils d’Israël demandèrent à Dieu, etc. A ce livre des Juges il rattache comme un appendice celui de Ruth de cette manière : Et en ces jours où jugeaient les Juges, il arriva qu’il y eut une grande famine dans cette terre. Au livre de Ruth, il relie de la même manière le premier de Samuel, et quand ce premier livre est achevé, passe au deuxième toujours de même façon. L’ensemble du texte aussi et l’ordre dans lequel se succèdent les récits, donnent à penser qu’il y a eu un seul Historien visant un but bien déterminé. Il commence par raconter la première origine de la nation Hébraïque et dit ensuite avec ordre à quelle occasion et à quels moments Moïse établit les lois et fit aux Hébreux de nombreuses prédictions ; puis comment ils conquirent la terre promise suivant la prédiction de Moïse (Voir Deutér., chap. VII), puis, quand ils l’eurent conquise, comment ils abandonnèrent les lois (Deutér., chap. XXXI, v.16), d’où il résulta beaucoup de maux (même chap., v. 17). Comment ensuite ils voulurent élire des rois (Deutér., chap. XVII, v. 14) qui eux aussi furent prospères ou malheureux suivant qu’ils observèrent les lois ou n’en eurent souci (Deutér., chap. XXVIII, v. 36 et v. dernier), jusqu’à la ruine de l’État, qui arriva comme Moïse l’avait prédit. Pour le reste qui ne peut servir à la confirmation de la Loi, ou bien il le passe entièrement sous silence, ou il renvoie le lecteur à d’autres historiens. Tous ces livres donc s’inspirent d’une même pensée et tendent à un seul but qui est d’enseigner la loi édictée par Moïse et de la démontrer par les événements.

[12] Considérant conjointement ces trois caractères, la simplicité de dessein de tous ces livres, leur rattachement et leur composition postérieure de beaucoup de siècles aux choses racontées, nous concluons, comme nous l’avons dit, qu’ils ont tous été écrits par un seul historien. Quel il fut, je ne puis le montrer avec évidence ; je soupçonne cependant que ce fut Esdras, et ma conjecture s’appuie sur quelques raisons assez sérieuses. Puisque, en effet, l’historien (que nous savons déjà avoir été unique) prolonge son récit jusqu’à la libération de Joachin et ajoute qu’il s’est assis, lui qui raconte, toute sa vie à la table du roi (c’est-à-dire à celle de Joachin ou à celle de Nabuchodonosor, car le sens est tout à fait ambigu), il ne peut avoir été antérieur à Esdras. Mais l’Écriture ne fait mention de personne qui fleurît alors, mis à part le témoignage rendu au seul Esdras (voir Esdras, chap. VII, v. 10) qui s’appliquait avec ardeur à la recherche et à l’exposition de la Loi de Dieu et était un scribe bien exercé (même chap., v. 6) en la Loi de Moïse. En dehors d’Esdras, on ne voit donc personne que l’on puisse soupçonner d’être l’auteur de ces livres. En second lieu nous trouvons dans Esdras un témoignage suivant lequel il se serait appliqué avec zèle non seulement à rechercher la loi de Dieu, mais aussi à l’exposer et dans Néhémie (chap. VIII, v. 9) il est dit qu’ils (ces hommes) lurent le livre de la Loi de Dieu expliquée et y appliquèrent leur entendement et entendirent l’Écriture. Or le livre du Deutéronome ne contient pas seulement la Loi de Moïse, au moins en très grande partie, mais aussi beaucoup d’explications qui y sont ajoutées, je conjecture en conséquence que ce livre du Deutéronome est le livre de la Loi de Dieu écrit par Esdras et contenant l’exposition et l’explication de la Loi, que lurent ceux dont parle Néhémie. Que d’ailleurs, dans ce livre du Deutéronome, beaucoup d’explications additionnelles furent insérées, nous l’avons montré par deux exemples en expliquant la pensée d’Aben Ezra. Plusieurs autres y sont à noter, ainsi dans le chapitre II, verset 12 : et dans Seir habitaient auparavant les Horréens ; mais les fils d’Esaü les chassèrent et les firent disparaître de leur vue et habitèrent à leur place, comme fit Israël dans la terre de son héritage que Dieu lui a donnée. Il s’agit d’expliquer les versets 3 et 4 disant que les fils d’Esaü ne furent pas les premiers habitants de la montagne de Seir à eux dévolue, mais la conquirent sur ses premiers occupants, les Horréens, qu’ils mirent en fuite et détruisirent, comme les Israélites firent pour les Chananéens après la mort de Moïse. Les versets 6, 7, 8, 9 du chapitre X sont aussi une addition introduite dans le texte de’ la loi de Moïse ; il n’est personne en effet qui ne voie que le verset 8 qui commence ainsi : dans ce temps-là Dieu sépara la tribu de Lévi, se rapporte nécessairement au verset 5, non à la mort d’Aaron et que la seule raison qu’ait eue Esdras de parler ici de cette mort, est que Moïse avait dit dans l’histoire du veau adoré par le peuple (voir chap. IX, v. 20) qu’il avait prié Dieu pour Aaron. Esdras explique ensuite que Dieu, au temps dont parle Moïse en ce passage, élut pour lui-même la tribu de Lévi, de façon à montrer la cause de cette élection ; et pourquoi les Lévites n’eurent point de part à l’héritage ; après quoi il reprend le fil de l’Écriture avec les paroles de Moïse. Ajoutez à cela la préface du livre et tous les passages parlant de Moïse à la troisième personne ; sans compter beaucoup d’autres additions et de modifications du texte que nous ne pouvons discerner et qui furent faites sans doute pour faciliter la perception des choses aux gens de son temps. Si nous avions le livre même de Moïse, je le dis, nous trouverions sans aucun doute de grandes divergences, tant dans l’expression que dans l’ordre des préceptes et les preuves données à leur appui. Quand je compare en effet le seul Décalogue du Deutéronome avec le Décalogue de l’Exode (où son histoire est expressément racontée), je vois qu’il y a divergence à tous égards ; non seulement le quatrième commandement n’est pas formulé de même, mais il est en outre énoncé beaucoup plus longuement ; la raison donnée est entièrement différente de celle que donne l’Exode. L’ordre enfin dans lequel le dixième commandement est formulé est autre aussi que dans l’Exode. J’estime donc, comme je l’ai dit, qu’Esdras fit tous ces changements tant là qu’ailleurs parce qu’il a expliqué la Loi de Dieu à ses contemporains et en conséquence que c’est là le livre de la Loi de Dieu, exposé et expliqué par lui. Et je pense que ce livre fut le premier de tous ceux que j’ai dit qu’il avait écrits. Je le conjecture parce que ce livre contient les Lois de la Nation dont le peuple a surtout besoin, et aussi parce que ce livre ne se rattache pas au précédent comme tous les autres, mais commence absolument : Voilà quelles sont les paroles de Moïse, etc. Après avoir achevé ce livre et enseigné les lois au peuple, je crois qu’il s’est appliqué à raconter l’histoire entière de la nation des Hébreux depuis la création du monde jusqu’à la suprême dévastation de la ville, et dans cette histoire il inséra le livre du Deutéronome à sa place. Et peut-être appela-t-il les cinq premiers livres du nom de Moïse, parce que c’est surtout sa vie qui en est le contenu et prit-il le nom du personnage principal ; pour cette même raison il appela le sixième du nom de Josué, le septième du nom des Juges, le huitième de celui de Ruth, le neuvième et peut-être aussi le dixième du nom de Samuel, le onzième et le douzième de celui des Rois. Pour ce qui est de savoir si Esdras mit la dernière main à cet ouvrage et l’acheva, comme il le désirait, je renvoie sur ce point au chapitre suivant.


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