Je n’ai jamais pensé et je ne penserai jamais que rentrer en Italie, c’est récupérer un héritage. L’héritage n’existe plus, l’héritage s’est dissous et, comme cela arrive souvent dans ces grands patrimoines qui s’éparpillent, les éléments qui en restent sont absolument marginaux et parfois pervers. II y a de nombreuses familles qui vivent des histoires d’énormes héritages dilapidés dans la pathologie la plus complète. Quand j’étais beaucoup plus jeune, il y a quinze ans, j’ai écrit un éloge de l’absence de mémoire : en réalité il suffisait de lire l’article, ce n’était pas tant un éloge de l’absence de mémoire qu’un éloge de l’absence de patrimoine. Et c’est cela que je revendique encore. Mon retour en Italie ne sera certainement pas une tentative de faire revivre des ombres ou des fantômes. Ce ne sera pas non plus, à la manière de Léopardi, le dialogue d’un vieux collectionneur avec ses momies. Ce que je chercherai à faire, ce sera de comprendre une réalité complètement transformée et dont il est faux de dire qu’en elle seul le négatif triomphe - sur ce point, je suis en désaccord avec les Italiens que je connais. À côté du pouvoir, il y a toujours la puissance. À côté de la domination, il y a toujours l’insubordination. Et il s’agit de creuser, et de creuser encore, à partir du point le plus bas : ce point, ce n’est pas la prison en tant que telle, c’est simplement là où les gens souffrent, là où ils sont les plus pauvres et les plus exploités ; là où les langages et les sens sont le plus séparés de tout pouvoir d’action et où pourtant ils existent ; parce que tout cela, c’est la vie et non pas la mort.