SOURIAU

L’œuvre d’art ressemble à la personne humaine

Notons l’opposition qu’il y a entre une simple chose et une œuvre d’art. Or cette opposition est la même que celle qu’il y a entre une chose et une personne. évidemment l’œuvre d’art a bien un aspect de chose ; cet aspect est très important : c’est la matérialité de son corps physique (...) Mais personne ne peut mettre en doute que ce corps qui rend l’œuvre atteignable, possessible, transportable, périssable, et ainsi de suite, n’est en rien ce qui constitue fonctionnellement son être et sa nature, ni ce qui lui mérite notre inbtérêt, notre admiration, notre respect. Vous m’accordez, je pense sans discussion que ce qui donne leur prix aux Tombeaux des Médicis (...) ce n’est ni le poids du marbre ni la construction menuisière de l’ensemble des panneaux ; mais tout autre chose. Et ce " tout autre chose " - ce qui rend ces œuvres émouvantes, chargées de signifiance, propres à compter parmi les grands trésors culturels, bref ce qui fait leur valeur - est aussi ce qui fait l’essentiel de leur être. Et cela est bien, par rapport au corps physique de l’œuvre, dans le même rapport qu’une personne morale par rapport à une personne physique. Car je vous rappelle (...) que " personne physique " se dit "du corps d’une homme en tant que ce corps est considéré comme manifestation, comme phénomène de sa personne morale ". Nul doute que, dans l’œuvre d’art, ce corps physique qui lui donne sa teneur chosale ne soit le " phénomène " et la " manifestation " de tout ce qu’il y a de plus dans son être, ce plus que nous ne pouvons (...) désigner autrement que comme sa personne morale.

E. Souriau, « L’œuvre d’art en tant que personne », in Problème de la personne, Mouton & Co, 1973, pp. 335-336.