Toutes les actions auxquelles nous sommes déterminés par une affection passive, la raison nous y peut déterminer indépendamment de cette affection.

Démonstration

Agir selon la raison, ce n’est autre chose (par la Propos. 3 et la Déf. 2, part. 3) qu’accomplir les actions qui résultent de la nécessité de notre nature considérée en elle-même. Or la tristesse est mauvaise, en tant qu’elle diminue ou empêche notre puissance d’agir (par la Propos. 41). Donc nous ne pouvons être déterminés par la tristesse à aucune action que nous n’eussions été très capables de faire sous la conduite de la raison. De plus, la joie est mauvaise en tant seulement qu’elle empêche qu’un homme ne soit propre à l’action (par les Propos. 41 et 43) ; et par conséquent, sous ce point de vue, elle ne peut non plus nous déterminer à aucune action que nous n’eussions accomplie sous l’empire de la raison. Enfin la joie, en tant qu’elle est bonne, est d’accord avec la raison (elle consiste en effet dans l’augmentation ou dans le développement plus facile de notre puissance d’agir), et sous ce point de vue, la joie n’est une affection passive qu’en ce sens que par elle la puissance d’agir de l’homme n’est pas augmentée jusqu’au point qu’il conçoive et ses actions et soi-même d’une façon adéquate (par la propos. 3, partie 3, et son Scol.). Par conséquent, si l’homme qui éprouve la joie arrivait à un degré si élevé de perfection qu’il comprît et ses actions et soi-même d’une manière adéquate, il en serait d’autant plus propre à accomplir les actions auxquelles il est déjà déterminé par des affections passives. Or toutes les passions dérivent de la joie, de la tristesse ou du désir (voy. l’explic. de la Déf. 4 des passions), et le désir (par la Déf. 1 des passions) n’est autre chose que l’effort même que nous faisons pour agir. Donc toutes les actions auxquelles nous sommes déterminés par une affection passive, la raison peut nous les faire accomplir. C. Q. F. D.

Autre démonstration

Une action quelconque est dite mauvaise en tant qu’elle provient d’un sentiment de haine ou de quelque autre mauvaise passion (voyez le Coroll. 1 de la Propos. 45). Or aucune action, considérée seulement en elle-même, n’est bonne ou mauvaise (comme on l’a montré dans la préface de cette quatrième partie) ; mais une seule et même action est tantôt bonne, tantôt mauvaise. Par conséquent, la raison peut nous déterminer à une action qui est mauvaise en tant qu’elle provient d’une mauvaise passion (par la Propos. 19).