Chapitre VIII

De l’Estime et du Mépris.

  • 26 août 2006


(1) Pour continuer nous parlerons de l’Estime et du Mépris, de la Noblesse [*] et de l’Humilité, et de l’Orgueil et de l’Humilité vicieuse, Pour bien discerner dans ces passions le bien et le mal, nous les considérerons à part dans cet ordre.

(2) L’Estime et le Mépris donc ne sont relatifs qu’à quelque chose de grand ou de petit ; [ces passions sont en nous] quand nous jugeons telle une chose, que ce qui est grand ou petit soit en nous ou hors de nous.

(3) La Noblesse n’a pas d’objet en dehors de nous-mêmes et il faut entendre par là seulement que quelqu’un, sans passion et sans prendre garde à l’estime de lui-même, connaît sa propre perfection selon sa vraie valeur.

(4) Il y a Humilité quand quelqu’un, sans prendre garde au mépris de lui-même, connaît son imperfection ; l’humilité donc n’a pas d’objet en dehors de l’homme humble.

(5) Il y a Orgueil quand quelqu’un s’attribue une perfection qu’on ne peut trouver en lui,

(6) Il y a Humilité vicieuse quand quelqu’un s’attribue une imperfection qui ne lui appartient pas. Je ne parle pas ici des hypocrites qui, pour tromper les autres, s’abaissent sans croire [ce qu’ils disent], mais de ceux qui croient que les imperfections qu’ils s’attribuent existent en eux.

(7) Après ces observations apparaît assez clairement ce qu’a de bon et de mauvais chacune de ces passions. Pour ce qui touche la Noblesse et l’Humilité, elles font connaître par elles-mêmes leur excellence. Nous disons, en effet, que celui qui les possède connaît sa propre perfection et son imperfection selon leur valeur vraie ; ce qui, comme l’enseigne la Raison est le meilleur pour parvenir à notre perfection ; car, si nous connaissons exactement notre puissance et notre perfection, nous voyons clairement par là ce qui est à faire pour parvenir à la fin qui est bonne pour nous ; et d’autre part, si nous connaissons notre défaut et notre impuissance, nous voyons ce qui pour nous est à éviter.

(8) Pour l’Orgueil et l’Humilité vicieuse, leur définition fait assez connaître qu’ils naissent sans aucun doute possible de l’opinion, puisque le premier, disions-nous, se rencontre en celui qui s’attribue à lui-même une perfection qui ne lui appartient pas ; et que l’humilité vicieuse lui est précisément opposée.

(9) Il se voit avec clarté par ce qui précède qu’autant la Noblesse, la véritable Humilité, sont bonnes et salutaires, autant l’Orgueil et l’Humilité vicieuse sont mauvais et corrupteurs. Non seulement les premières mettent qui les possède dans une bonne condition, mais elles sont aussi les degrés par où nous nous élevons à notre plus haut salut ; tandis que l’orgueil et l’humilité vicieuse non seulement nous empêchent de parvenir à notre perfection, mais nous conduisent entièrement à notre ruine. C’est l’Humilité vicieuse qui nous empêche de faire ce qu’autrement nous devrions faire pour devenir parfaits ; comme nous le voyons chez les sceptiques qui, niant que l’homme puisse posséder aucune vérité, se privent par là eux-mêmes de la vérité. C’est l’Orgueil qui nous fait nous attacher à des choses qui conduisent en droite ligne à notre ruine, comme on le voit chez ceux qui se sont imaginé et s’imaginent que Dieu a pour eux des faveurs miraculeuses et, pour cette raison, ne craignant aucun danger, prêts à tout, bravent le feu et l’eau et périssent ainsi misérablement.

(10) Pour l’Estime et le Mépris il n’y a rien a en dire sinon qu’il faut bien garder dans sa mémoire ce qui a été dit auparavant de l’Amour.



[*La traduction du mot hollandais Edelmoedigheid donne lieu à une petite difficulté. D’une part, on est tenté d’emprunter à Descartes (Traité des passions, II, 56 ; III ; 149) les termes dont il use ; Edelmoedigheid correspond, semble-t-il, à générosité. Mais la définition donnée dans ce chapitre ne s’accorde pas pleinement avec celle de Descartes (III, 155). Pour les autres passions étudiées dans ce chapitre, nous suivons la terminologie de Descartes. Remarquons cependant que Verwaantheid, traduit ici par orgueil, est plutôt la présomption.

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