Chapitre XVIII

De l’utilité de ce qui précède.

  • 15 septembre 2006


(1) Nous voyons donc que l’homme, comme étant une partie de l’ensemble de la Nature, de laquelle il dépend et par laquelle il est aussi gouverné, ne peut rien faire de lui-même pour son salut et la santé de son âme. Voyons donc maintenant quelle sorte d’utilité peut provenir pour nous de ces propositions que nous soutenons ; d’autant que, nous n’en doutons pas, elles paraîtront fort choquantes à plusieurs.

(2) En premier lieu, il s’ensuit que nous sommes en vérité serviteurs et, je dirai, esclaves de Dieu et que c’est notre plus grande perfection de l’être nécessairement. Car, si nous étions réduits à nous-mêmes et ne dépendions pas ainsi de Dieu, il y aurait bien peu de choses ou même il n’y aurait rien que nous pussions accomplir, et nous trouverions à bon droit dans cette impuissance une cause d’affliction ; tout au contraire de ce nous voyons maintenant, à savoir : que nous dépendons de ce qui est le plus parfait de telle façon que nous soyons une partie du tout, c’est-à-dire de lui-même, et contribuons en quelque sorte à l’accomplissement d’autant d’œuvres habilement ordonnées et parfaites qu’il en est qui dépendent de lui.

(3) En second lieu, cette connaissance fait aussi que, si nous avons accompli quoi que ce soit d’excellent, nous ne nous enorgueillissons pas à ce sujet (cet enorgueillissement est cause que, pensant être quelque chose de grand et n’avoir besoin de rien de plus, nous restons au point où nous sommes, par où nous allons précisément à l’encontre de notre perfection, laquelle consiste à nous efforcer toujours de progresser davantage) ; mais, au contraire, attribuons à Dieu tout ce que nous faisons, puisqu’il est la première et unique cause de tout ce que nous accomplissons et exécutons.

(4) En troisième lieu, cette connaissance, outre l’amour véritable du prochain qu’elle fait pénétrer en nous, nous dispose de telle sorte que nous ne haïssions jamais et ne soyons jamais irrités contre lui, mais, au contraire, portés à le secourir et à le mettre en meilleure situation ; et toutes ces manières d’agir sont celles d’hommes qui ont une grande perfection ou essence.

(5) En quatrième lieu, cette connaissance sert aussi à l’accroissement du Bien Commun ; car par son moyen jamais un juge ne pourra avoir plus de partialité pour l’un que pour l’autre ; et, s’il lui faut punir l’un et récompenser l’autre, il le fera dans le dessein d’aider et d’améliorer l’un autant que l’autre.

(6) En cinquième lieu, cette connaissance nous affranchit de la Tristesse, du Désespoir, de l’Envie, de la Frayeur et d’autres passions mauvaises, qui, ainsi que nous le dirons plus loin, sont elles-mêmes le véritable enfer.

(7) En sixième lieu, cette connaissance nous conduit aussi à ne pas craindre Dieu, comme d’autres ont peur à la pensée que le Diable, qu’ils ont imaginé, pourrait leur faire quelque mal. Comment en effet craindrions-nous Dieu, qui est lui-même le souverain bien et par qui toutes les choses, qui ont quelque essence, sont ce qu’elles sont, et nous aussi qui vivons en lui.

(8) En outre, cette connaissance nous conduit à tout rapporter à Dieu et à l’aimer uniquement parce qu’il est souverainement magnifique et parfait, et à faire de nous complète offrande à lui ; car c’est en quoi consiste aussi bien le véritable service divin que notre propre salut et notre félicité. Car l’unique perfection et la fin dernière d’un esclave et d’un instrument consiste à accomplir comme il faut le service qui leur est imposé. Si, par exemple, un charpentier dans l’exécution de son travail se trouve servi pour le mieux par sa hache, cette hache est par là parvenue à sa fin et à sa perfection ; si cependant il s’avisait de penser : cette hache m’a si bien servi, je veux la laisser reposer maintenant et n’en plus faire usage ; alors cette hache serait éloignée de sa fin et ne serait même plus une hache.

(9) De même l’homme, aussi longtemps qu’il est une partie de la Nature, doit suivre les lois de la Nature, ce qui est le véritable service divin ; et, aussi longtemps qu’il agit ainsi, il se maintient dans sa santé. Si cependant Dieu, pour ainsi parler, voulait que l’homme ne le servît plus, ce serait exactement la même chose que de le dépouiller de sa santé et le détruire, car tout ce qu’il est consiste à servir Dieu.


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