« Spinoza et la psychanalyse », sous la dir. d’A. Martins et de P. Séverac

  • 14 avril 2016

Beaucoup l’ont constaté : il y a un air de famille entre spinozisme et psychanalyse. Même remise en cause des attributs traditionnels de la subjectivité : l’existence du libre arbitre, la transparence de la conscience à elle-même, la possibilité d’un empire sur soi. Même appréhension des phénomènes théologico-politiques, avec l’idée que le faux est une mutilation du vrai, que l’illusion renvoie aux désirs, et qu’il s’agit non de juger moralement mais de comprendre rationnellement. Même valorisation de la dimension affective et pulsionnelle du sujet, avec une centralité du désir ; et peut-être même visée thérapeutique... Les deux grands noms de la psychanalyse -Freud et Lacan - n’ont pas caché leur proximité avec la pensée spinoziste : Freud, même s’il affirme ne pas connaître de près la pensée du philosophe hollandais, avoue travailler dans un « climat » spinoziste ; et Lacan, même s’il finira par le congédier, s’est d’abord identifié avec la figure de Spinoza.

Soit. Mais ces grandes lignes de rapprochement entre psychanalyse freudo-lacanienne et philosophie spinoziste permettent-elles autre chose que de dessiner une vague parenté, dont il serait tout aussi aisé, sinon plus, de souligner les lignes de fracture ? Pour ne pas en rester à ce niveau de généralité, qui n’apprend rien car il confond tout, il est nécessaire d’analyser précisément les notions, les problèmes, les thèses et les textes à travers lesquels la confrontation entre spinozisme et psychanalyse prend sens et devient fructueuse. C’est, nous l’espérons, le défi que tente de relever le présent recueil.

Maxime Rovère interroge pour commencer le sens même de la confrontation entre Spinoza et Lacan, interrogation formulée en ces termes : « pourquoi non, et pourquoi pas » : c’est-à-dire pourquoi une telle confrontation est au fond impossible et pourtant tout à fait bienvenue. C’est à travers cette tension entre possibilité et impossibilité d’une véritable rencontre, que sont analysés les deux projets, spinoziste et lacanien, de conquête de l’agent sur la passion, et de conquête du sujet sur l’inconscient. L’opposition - opposition commune de ces deux pensées à la théorie du sujet substantiel, opposition entre ces deux pensées sur la question du désir - autorise un éclairage réciproque. A travers Lacan, nous voyons mieux quel est le rôle de l’Autre (l’infini, Dieu) comme sujet du désir, et en quel sens la philosophie spinoziste est effort de dépassement de cette fondamentale aliénation ; à travers Spinoza, nous voyons mieux quelle est la puissance du signifiant (le constitué) dans la production du sujet (le constituant) : le constitué n’ayant de sens que pour le constituant, « le signifiant n’est pas autonome, et n’existe que pour quelque chose qui est antérieur au sujet proprement dit : c’est ce que Spinoza appelle le désir ».

Myriam Morvan poursuit cette confrontation entre spinozisme et psychanalyse à partir de l’analyse de deux figures de l’impuissance : « l’admiration » et la « fascination ». L’admiration chez Spinoza est une imagination qui peut certes se combiner à des affects de joie ou de tristesse, mais qui en elle-même n’est pas un affect : elle est une fixation passive sur un objet, proche en cela de la fascination entendue comme captation du moi par un objet. Ferenczi montre qu’une peur intense sous-tend le processus de la fascination, notamment lorsqu’il s’agit de l’enfant, dont l’incapacité réactive le conduit à s’identifier à l’agresseur. La répétition constitue selon Ferenczi une tentative d’amener des événements traumatiques à une plus grande maîtrise psychique, et doit être au centre du travail analytique : celui-ci vise en effet une « défascination » graduelle grâce à une requalification de l’affect dans une expérience qui n’a pas pu avoir lieu en son temps. L’admiration à son tour peut être contrée, selon Spinoza, par une affectivité soit passionnelle (le mépris) soit rationnelle (la Force d’âme). Mais il s’agit pour lui, avant tout, de se donner les moyens d’éviter cet état - ce qui peut se faire, en politique, par une série de dispositifs institutionnels - si bien que, « si le psychanalyste doit guérir, le philosophe cherche à prévenir ».

TABLE DES MATIERES

Préface – Pierre-François Moreau

Présentation – André Martins et Pascal Sévérac

Maxime Rovère – Causalité et signification : la construction d’un sujet libre chez Spinoza et Lacan

Myriam Morvan – Admiration dans le spinozisme et Fascination dans la psychanalyse

André Martins – La philosophie de Spinoza peut-elle enrichir la psychanalyse ?

Adrien Klajnman – Interprétation spinozienne de l’Ecriture et interprétation freudienne du rêve

Isabelle Ledoux – Freud et Spinoza : la question du mal dans les lettres à Blyenbergh

Pascal Sévérac – Spinoza et Freud : les dessous de la jalousie

Monique Schneider – Freud et Spinoza confrontés à la causalité sauvage

Dans la même rubrique

"La multitude libre", Sous la direction de Chantal Jaquet, Pascal Sévérac et Ariel Suhamy

Editions Amsterdam (5 novembre 2008) Collection : Caute ! 19,00€
Sommaire Chantal Jaquet, Pascal Sévérac, Ariel Suhamy : Préface
Chantal (...)

"Exister. Méthodes de Spinoza"

Exister : Méthodes de Spinoza, de Maxime Rovere. Broché : 384 pages Editeur : CNRS (14 janvier 2010) Collection : Cnrs philosophie Langue : (...)

François ZOURABICHVILI

François Zourabichvili, Le conservatisme paradoxal de Spinoza. Enfance et royauté
François Zourabichvili, Spinoza. Une physique de la pensée. (...)

Laurent BOVE

La stratégie du conatus : Affirmation et résistance chez Spinoza, de Laurent Bove.
La stratégie du conatus : Affirmation et résistance (...)

Pierre-François MOREAU

Spinoza , de Pierre-François Moreau. Spinoza. L’expérience et l’éternité, Pierre-François Moreau. Spinoza et le spinozisme, Pierre-François (...)

Gilles DELEUZE

http://www.webdeleuze.com/
http://www.univ-paris8.fr/deleuze/
Spinoza et le problème de l’expression, de Gilles DELEUZE.
Broché : 322 (...)

Max Dorra

http://www.dailymotion.com/video/x35x5f_dorra-meets-spinoza_creation
Quelle petite phrase bouleversante au coeur d’un être ? Proust, Freud, (...)

Henri Meschonnic

Spinoza. Poème de la pensée, de Henri Meschonnic.
Broché : 311 pages Editeur : Maisonneuve & Larose (22 mai 2002)
4è de couverture Il y (...)

Antonio Negri

L’anomalie sauvage. Puissance et pouvoir chez Spinoza, de Antonio Negri, traduit de l’italien par François Matheron.
Broché : 352 pages (...)

Pierre Macherey

http://stl.recherche.univ-lille3.fr/sitespersonnels/macherey/accueilmacherey.html
Hegel ou Spinoza, de Pierre Macherey.
Broché : 263 pages (...)

Chantal JAQUET

Sub specie aeternitatis : étude des concepts de temps, durée et éternité chez Spinoza, par Chantal Jaquet Broché : 217 pages Editeur : Kimé (1 (...)

Alexandre Matheron

Individu et communauté chez Spinoza, par Alexandre Matheron. Broché : 647 pages Éditeur : Les Éditions de Minuit (1969) Collection : Le sens (...)

"Tumultes et Indignations Conflit, droit et multitude chez Machiavel et Spinoza", par Filippo del Lucchese

http://www.editionsamsterdam.fr/articles.php?idArt=166
Filippo Del Lucchese, Tumultes et Indignations. Conflit, droit et multitude chez (...)

" Le temps de la multitude ", par Vittorio Morfino

Vittorio Morfino, Le temps de la multitude
Broché : 289 pages Editeur : Editions Amsterdam (22 mai 2010) Collection : Caute ! Langue : (...)

"Joie et liberté chez Bergson et Spinoza", par Lionel Astesiano

En affirmant que « tout philosophe a deux philosophies : la sienne et celle de Spinoza », Bergson exprime avant tout que le philosophe se doit (...)

Le clan Spinoza. Amsterdam, 1677. L’invention de la liberté

Quelques émissions pour découvrir le Clan Spinoza :
la bande à Spinoza
Et quelques articles : Jouisif Baruch Spinoza
Le Clan Spinoza (...)

Spinoza par ses amis

Leurs vies sont si inséparables qu’ils ont écrit leurs œuvres en écho les uns aux autres : entre Spinoza, Jellesz et Meyer, l’amitié est aussi (...)