TTP - Chap. XIII - §§5-7 : Contrairement à l’obéissance, la connaissance intellectuelle ou exacte de Dieu n’est pas un don commun à tous les fidèles.

  • 30 avril 2006


[5] Le premier point est une conséquence très évidente de l’Exode (chap. VI, v.2), où Dieu dit à Moïse pour lui marquer l’étendue de la grâce qu’il lui a faite : et je me suis révélé à Abraham, à Isaïe et à Jacob comme le Dieu Sadai, mais sous mon nom de Jéhovah je ne leur ai pas été connu. Pour expliquer ce passage il faut noter que El Sadai signifie en hébreu Dieu qui suffit, parce qu’il donne à chacun ce qui lui suffit ; et bien que Sadai soit souvent pris absolument pour Dieu, il n’est pas douteux qu’on ne doive sous-entendre partout le mot El ou Dieu. Il faut noter ensuite qu’on ne trouve dans l’Écriture aucun nom, en dehors de Jéhovah, qui exprime l’essence absolue de Dieu, sans rapport aux choses créées. C’est pourquoi les Hébreux prétendent que seul ce nom appartient en propre à Dieu, les autres n’étant que des appellations ; et effectivement les autres noms de Dieu, substantifs ou adjectifs, sont des attributs qui conviennent à Dieu en tant qu’on le considère dans sa relation aux choses créées ou comme se manifestant par elles : par exemple El ou, avec la lettre paragogique He, Eloah qui ne signifie autre chose que puissant, comme on sait, et ne convient pas à Dieu sinon en ce sens qu’il est le puissant par excellence, comme Paul est l’Apôtre ; autrement à ce mot se joignent des adjectifs exprimant les vertus de sa puissance : ainsi le grand, le terrible, le juste, le miséricordieux, etc. El (puissant), ou bien, pour comprendre toutes ces vertus à la fois, ce mot s’emploie au pluriel avec un sens singulier, ce qui est très fréquent dans l’Écriture. Puisque, dans le passage cité, Dieu dit à Moïse qu’il n’a pas été connu de ses pères sous le nom de Jéhovah, cela veut dire qu’ils n’ont connu aucun attribut de Dieu expliquant son absolue essence, mais seulement des effets et des promesses de sa puissance, c’est-à-dire qu’ils ont connu sa puissance en tant qu’elle se manifeste par des choses visibles. Remarquons que Dieu ne dit point cela à Moïse pour les accuser d’infidélité, au contraire il glorifie leur crédulité et leur fidélité ; bien que n’ayant pas eu de Dieu une connaissance singulière comme celle qui a été donnée à Moïse, ils ont cependant cru aux promesses fermes et assurées de Dieu ; ce n’est pas comme Moïse qui, en dépit des pensées plus hautes qu’il a eues sur Dieu, a douté de ses promesses et a objecté à Dieu qu’en place du salut promis, la condition des Juifs avait empiré. Puis donc que les Ancêtres avaient ignoré le nom propre de Dieu, et que Dieu dit cela à Moïse pour glorifier leur simplicité d’âme et louer leur fidélité, comme aussi pour rappeler la grâce unique accordée à Moïse, nous devons très évidemment conclure de là en premier lieu que nul commandement n’oblige les hommes à connaître les attributs de Dieu et que cette connaissance est un don particulier fait à quelques fidèles seulement. Il ne vaut pas la peine de montrer cela par plusieurs témoignages tirés de l’Écriture. Qui ne voit en effet que tous les fidèles n’ont pas eu de Dieu une égale connaissance ? que nul ne peut être sage par commandement, non plus que vivre ou exister. Tous, hommes, femmes, enfants, peuvent bien également obéir par commandement, mais non posséder la sagesse.

[6] Dira-t-on que point n’est besoin de connaître les attributs de Dieu, mais uniquement de croire en lui simplement et sans démonstration ? Ce serait pure frivolité. Les choses invisibles en effet, et qui sont les objets de la pensée seulement, ne peuvent être vues par d’autres yeux que les démonstrations. Qui donc n’a point de démonstrations, ne voit absolument rien de ces choses et tout ce qu’il rapporte comme l’ayant entendu sur des objets de cette sorte, n’a pas plus de relation à sa pensée et ne l’exprime pas plus que les paroles d’un perroquet ou d’un automate auxquelles ne s’attache ni sens ni pensée.

[7] Avant de poursuivre toutefois je dois indiquer la raison pour laquelle la Genèse dit souvent que les Patriarches ont prêché au nom de Jéhovah, ce qui semble entièrement contraire à ce qu’on a lu plus haut. Ayant égard cependant aux propositions établies dans le chapitre VIII, nous pourrons facilement montrer que le désaccord n’est qu’apparent ; dans ce chapitre, en effet, on a vu que la personne qui a écrit le Pentateuque, ne désigne pas les choses et les lieux par les noms précis qu’ils portaient au temps dont il parle, mais par ceux qui étaient le plus en usage en son temps. Le Dieu des Patriarches donc, dans la Genèse, est désigné par le nom de Jéhovah, non que les ancêtres l’aient connu sous ce nom, mais parce qu’il était en très grande révérence chez les Juifs. Il faut bien qu’il en soit ainsi puisque notre texte de l’Exode porte expressément que Dieu n’a pas été connu des Patriarches sous le nom de Jéhovah et aussi (Exode, chap. III, v. 13) que Moïse désire savoir le nom de Dieu : s’il avait été précédemment connu, lui du moins ne l’eût pas ignoré. Il faut donc conclure, comme nous le voulions, que les fidèles Patriarches ont ignoré ce nom de Dieu, et que la connaissance de Dieu est un don, non un commandement de Dieu.


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