TTP - chap.IV - §§11-12 : Ce qu’enseigne l’Écriture sainte au sujet de la lumière et de la loi naturelles.

  • 16 février 2006


[11] Passons maintenant au second point, parcourons le Livre sacré et voyons ce qu’il enseigne au sujet de la Lumière Naturelle et de cette loi divine. Le premier texte que nous rencontrons, est l’histoire même du premier homme où il est raconté que Dieu commanda à Adam de ne pas manger du fruit de l’arbre de la science du bien et du mal ; ce qui semble signifier que Dieu commanda à Adam de faire et de chercher le bien pour cette raison qu’il est le bien et non en tant qu’il est contraire au mal, c’est-à-dire de chercher le bien par amour du bien et non par crainte du mal. Qui fait le bien en effet, nous l’avons montré déjà, par connaissance vraie et amour du bien, agit librement et d’une âme constante ; qui au contraire le fait par crainte du mal, agit contraint par le mal qu’il redoute et en esclave, et vit sous le commandement d’autrui. Cet unique précepte donné à Adam par Dieu comprend donc toute la loi divine naturelle et s’accorde entièrement avec l’enseignement de la Lumière Naturelle. Et il ne serait pas difficile d’expliquer toute cette histoire ou parabole du premier homme par ce principe. J’aime mieux cependant omettre cette explication, tant parce que je ne puis être absolument certain que mon explication s’accorde avec la pensée du narrateur, que parce que la plupart n’accordent pas que cette histoire soit une parabole, mais admettent sans réserve qu’elle est un simple récit.

[12] Il sera donc préférable de citer ici d’autres passages de l’Écriture empruntés en premier lieu à cet auteur qui parle par la vertu de la lumière naturelle, par où il l’emporta sur tout son siècle, et dont les sentences inspirent au peuple autant de religieux respect que celles des Prophètes ; je pense à Salomon dont les livres sacrés célèbrent non le don prophétique et la piété mais la prudence et la sagesse. Salomon donc, dans ses Proverbes, appelle l’entendement humain une fontaine de vie vraie et fait consister l’infortune dans la seule déraison. Il dit en effet (chap. XVI, v. 22) : L’entendement est pour son seigneur [1] une source de vie et le supplice de l’insensé est sa déraison ; or il est à noter que par vie, absolument parlant, on entend en hébreu la vie vraie, comme le montre le Deutéronome (chap. XXX, v. 19). Salomon fait donc consister le fruit de l’entendement dans la seule vie vraie et le supplice dans sa seule privation, ce qui s’accorde entièrement avec ce que nous avons noté en quatrième lieu au sujet de la loi divine naturelle. Que d’ailleurs cette source de vie, c’est-à-dire le seul entendement, prescrit des lois aux sages comme nous l’avons aussi montré, c’est ce que ce même sage enseigne ouvertement, car il dit (chap. XIII, v. 14) : La loi du prudent est source de vie, c’est-à-dire, comme on le voit par le texte cité ci-dessus, qu’elle est l’entendement. De plus, au chapitre III, verset 13, il enseigne très expressément que l’entendement donne à l’homme la béatitude et la félicité ainsi que la vraie tranquillité d’âme. Il dit en effet : bienheureux l’homme qui a trouvé la science et le fils de l’homme qui a instruit l’entendement. La raison en est (comme on voit par la suite, v. 16, 17) que l’entendement donne directement la durée des jours [2], indirectement les richesses et l’honneur : ses voies (celles que la science fait connaître) sont aimables et tous ses sentiers pacifiques. Seuls donc les sages, suivant la parole de Salomon, vivent dans la paix et la constance de l’âme et non comme les impies, dont l’âme flotte en proie aux passions contraires et qui par suite (comme le dit Isaïe, chap. LVII, v. 20) n’ont ni paix ni repos. Il nous faut noter enfin, surtout dans ces Proverbes de Salomon, ce qui se trouve au second chapitre, attendu que cela confirme très clairement notre manière de voir. C’est ainsi qu’il commence au verset 3 : Si en effet tu te fais le héraut de la prudence et donnes ta voix à l’intelligence, etc., tu connaîtras la crainte de Dieu et trouveras la science (ou plutôt l’amour, car le mot jadah signifie les deux), Dieu en effet donne la sagesse, de sa bouche (découle) la science et la prudence. Par ces paroles il montre très clairement premièrement que seule la sagesse ou encore l’entendement nous enseigne à craindre Dieu sagement, c’est-à-dire à lui rendre un culte vraiment religieux. Il enseigne en second lieu que la sagesse et la science ont leur source en Dieu et que Dieu nous les donne ; c’est précisément ce que nous avons montré ci-dessus, à savoir que notre entendement et notre science dépendent de la seule idée ou connaissance de Dieu, en tirent leur origine et y trouvent leur achèvement. Il continue au verset 9 en enseignant très expressément que cette science contient la véritable Éthique et la vraie Politique, lesquelles s’en déduisent : alors tu connaîtras la Justice et le Jugement et les voies droites (et) ton bon chemin, non content de cela, il poursuit : quand la science entrera dans ton cœur et que la sagesse te sera douce, alors ta prévoyance [3] veillera sur toi et la prudence te gardera. Tout cela s’accorde entièrement avec la science naturelle, qui enseigne l’Éthique et la véritable vertu quand nous avons acquis la connaissance des êtres et goûté l’excellence de la science. Ainsi la félicité et la tranquillité de celui qui cultive l’entendement naturel, suivant la pensée même de Salomon, ne dépendent pas du pouvoir de la fortune (c’est-à-dire d’un secours externe de Dieu), mais principalement de sa propre vertu interne (c’est-à-dire d’un secours interne de Dieu), parce qu’en étant vigilant, actif et bien avisé, il pourvoit pour le mieux à sa propre conservation.

Il ne faut pas négliger enfin ce passage de Paul qui se trouve au chapitre I, verset 20, de l’Épître aux Romains, et où il est dit (suivant la version que donne Tremellius du texte syriaque) : les choses divines cachées depuis les fondements du monde sont aperçues par l’entendement dans les créatures de Dieu, de même que sa vertu et sa divinité qui est éternelle, de sorte qu’ils sont sans excuse. Il montre ainsi assez clairement la vertu de Dieu et sa divinité éternelle par où se peut savoir et d’où il faut déduire quelles choses doivent être recherchées, quelles évitées ; et ainsi il en conclut que tous sont sans excuse et que l’ignorance ne peut être justement alléguée ; il n’en serait pas ainsi s’il parlait de la lumière surnaturelle, de la passion soufferte par le Christ dans sa chair et de sa résurrection, etc. Aussi ajoute-t-il plus bas au verset 24 : Pour cette raison Dieu les a livrés aux concupiscences immondes de leurs cœurs, etc., jusqu’à la fin du chapitre ; ainsi parle-t-il des vices de l’ignorance et les décrit-il comme les supplices de l’ignorance, ce qui s’accorde pleinement avec le Proverbe de Salomon (chap. XVI, v. 22) déjà cité : et le supplice des insensés est leur déraison. Rien d’étonnant donc que Paul dise : ceux qui font le mal sont inexcusables. Car chacun récolte suivant qu’il a semé, le mal engendre le mal nécessairement s’il n’est pas corrigé et le bien engendre le bien s’il s’accompagne de la constance de l’âme. Ainsi l’Écriture recommande absolument la Lumière Naturelle et la Loi divine Naturelle et j’achève ainsi de traiter les questions que je m’étais proposé d’examiner dans ce chapitre.



[1Hébraïsme. Qui possède une chose ou la contient en sa nature est dit le Seigneur de cette chose ; ainsi l’oiseau est dit en hébreu le Seigneur des ailes parce qu’il possède des ailes ; le Seigneur de l’entendement est l’homme entendant parce qu’il a un entendement. (Note de l’auteur.)

[2Hébraïsme ne signifiant autre chose que la vie. (Note de l’auteur.)

[3Mezima signifie proprement pensée, délibération et vigilance. (Note de l’auteur.)

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