Traité politique, VII, §10

  • 22 mars 2005


Que de plus les membres du conseil, une fois qu’il aura été établi, ne puissent être ramenés à un nombre moindre, nous le verrons sans peine si nous considérons les affections communes des hommes. Tous sont sensibles à la gloire et il n’est personne qui, étant en bonne santé, n’espère prolonger sa vie jusque dans la vieillesse. Si donc nous faisons le calcul de ceux qui ont effectivement atteint leur cinquantième et leur soixantième année et que nous tenions compte du grand nombre de membres du conseil à élire chaque année, nous verrons que parmi ceux qui portent les armes, il n’en est guère un seul qui ne puisse espérer de s’élever à cette dignité [1]. Tous en conséquence défendront autant qu’ils le pourront une règle qui sert leur ambition. Il faut l’observer en effet, il est aisé de s’opposer à la corruption quand elle ne s’infiltre pas peu à peu ; d’autre part il est plus aisé d’obtenir, parce que cela excite moins de jalousie, que dans chaque clan un nombre moindre de citoyens soit élu, que non pas que cette réduction affecte seulement un petit nombre de clans, et que tel et tel seuls soient exclus ; donc (par le § 15 du chapitre précédent) le nombre des conseillers ne peut être diminué sinon d’un tiers, d’un quart ou d’un cinquième. Pareille modification est importante et contraire au cours commun des choses. Il n’est pas à craindre non plus qu’il y ait retard ou négligence dans les élections, puisqu’en pareil cas le conseil lui-même y supplée (voir le § 16 du chapitre précédent).


Traduction Saisset :

Il est également certain que le Conseil une fois établi, ses membres ne pourront être réduits à un nombre moindre. Cela résulte en effet de la nature des passions humaines, tous les hommes étant sensibles au plus haut degré à l’amour de la gloire, et tous aussi espérant, quand ils ont un corps sain, pousser leur vie jusqu’à une longue vieillesse. Or, si nous faisons le calcul de ceux qui auront atteint réellement l’âge de cinquante ou soixante ans, et si nous tenons compte, en outre, du grand nombre de membres qui sont élus annuellement, nous verrons que parmi les citoyens qui portent les armes, il en est à peine un qui ne nourrisse un grand espoir de s’élever à la dignité de conseiller ; et par conséquent, tous défendront de toutes leurs forces l’intégrité du Conseil. Car il faut remarquer que la corruption est aisée à prévenir, quand elle ne s’insinue pas peu à peu. Or comme c’est une combinaison plus simple et moins sujette à exciter la jalousie, de faire élire un membre du Conseil dans chaque famille que de n’accorder ce droit qu’a un petit nombre de familles ou d’exclure celle-ci ou celle-là, il s’ensuit (par l’article 15 du chapitre précédent) que le nombre des conseillers ne pourra être diminué que si on vient à supprimer tout à coup un tiers, un quart ou un cinquième de l’assemblée, mesure exorbitante et par conséquent fort éloignée de la pratique commune. Et il n’y a pas à craindre non plus de retard ou de négligence dans l’élection ; car en pareil cas, nous avons vu que le Conseil lui-même élit à la place du Roi (article 16 du chapitre précédent).


Quod praeterea huius concilii semel stabiliti membra ad minorem numerum redigi non poterunt, facile videbimus si hominum communes affectus consideremus. Omnes enim gloria maxime ducuntur, et nullus est, qui sano corpore vivit, qui non speret in longam senectutem vitam trahere. Si itaque calculum ineamus eorum, qui revera annum quinquagesimum aut sexagesimum aetatis attigerunt, et rationem praeterea habeamus magni istius concilii numeri, qui quotannis eligitur, videbimus vix aliquem eorum, qui arma ferunt, dari posse, qui non magna spe teneatur, huc dignitatis ascendere ; atque adeo omnes hoc concilii ius, quantum poterunt, defendent. Nam notandum, quod corruptio, nisi paulatim irrepat, facile praevenitur. At quia facilius concipi potest, et minori invidia fieri, ut ex unaquaque familia, quam ut ex paucis minor numerus eligatur, aut ut una, aut alia secludatur, ergo (per art. 15. praeced. cap.) consiliariorum numerus non potest ad alium minorem redigi, nisi simul ab eo una tertia, quarta aut quinta pars auferatur, quae sane mutatio admodum magna est, et consequenter a communi praxi omnino abhorrens. Nec mora praeterea, sive in eligendo negligentia timenda est, quia haec ab ipso concilio suppletur. Vid. art. 16. praeced. cap.

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