Traité politique, VII, §13

  • 22 mars 2005


Pourquoi il ne faut pas que les conseillers du roi soient élus à vie, mais pour trois, quatre ou cinq ans au plus, cela ressort clairement aussi bien du § 10 de ce chapitre que de ce que nous avons dit au § 9 du même. S’ils étaient élus à vie, en premier lieu, la majeure partie des citoyens n’aurait aucun espoir d’atteindre à cet honneur, et il y aurait ainsi parmi les citoyens une grande jalousie, d’où résulteraient des haines, des protestations et finalement des séditions, qu’à la vérité le roi, avide de dominer, verrait sans déplaisir ; en outre les conseillers en exercice n’ayant plus de successeurs à redouter, prendraient toute licence et le roi ne s’y opposerait pas. Car plus ils seraient mal vus des citoyens, plus ils se serreraient auprès du roi et auraient d’inclination à le flatter. Et même un espace de cinq ans paraît déjà trop grand [1], car pendant ce laps de temps il n’est pas, semble-t-il, impossible qu’une grande partie du conseil (si nombreux qu’il soit) se laisse gagner par des présents ou des faveurs et, pour cette raison, il serait plus sûr que chaque année deux de chaque clan se retirent et soient remplacés par d’autres (si du moins chaque clan doit avoir cinq représentants au conseil) : l’année où une personnalité appartenant à l’un des clans se retirerait, on en nommerait une autre à sa place.


Traduction Saisset :

Que les conseillers du Roi ne doivent pas être élus à vie, mais pour trois, quatre ou cinq ans au plus, c’est ce qui est évident, tant par l’article 10 que par l’article 9 du présent chapitre. Si, en effet, ils étaient élus à vie, outre que la plus grande partie des citoyens pourrait à peine espérer cet honneur, d’où résulterait une grande inégalité, et par suite l’envie, les rumeurs continuelles et finalement des séditions dont les rois ne manqueraient pas de profiter, dans l’intérêt de leur domination, il arriverait en outre que les conseillers, ne craignant plus leurs successeurs, prendraient de grandes licences en toutes choses, et cela sans aucune opposition du Roi. Car, plus ils se sentiraient odieux aux citoyens, plus ils seraient disposés à se serrer autour du Roi, et à se faire ses flatteurs. A ce compte un intervalle de cinq années paraît encore trop long, cet espace de temps pouvant suffire pour corrompre par des présents ou des faveurs la plus grande partie du Conseil, si nombreux qu’il soit, et par conséquent le mieux sera de renvoyer chaque année deux membres de chaque famille pour être remplacés par deux membres nouveaux (je suppose qu’on a pris dans chaque famille cinq conseillers), excepté l’année où le jurisconsulte d’une famille se retirera et fera place à un nouvel élu.


Quod regis consiliarii ad vitam eligi non debeant, sed in tres, quatuor vel quinque ad summum annos, patet tam ex art. 10. huius cap., quam ex iis, quae in art. 9. huius etiam cap. diximus. Nam si ad vitam eligerentur, praeterquam quo maxima civium pars vix ullam spem posset concipere eum honorem adipiscendi ; atque adeo magna inde inter cives inaequalitas, unde invidia et continui rumores et tandem seditiones orirentur, quae sane regibus dominandi avidis non ingratae essent ; magnam praeterea ad omnia licentiam (sublato scilicet succedentium metu) sumerent, rege minime adversante. Nam quo civibus magis invisi, eo magis regi adhaerebunt, eique ad adulandum magis proni erunt. Imo quinque annorum intervallum nimium adhuc videtur, quia eo temporis spatio non adeo impossibile factu videtur, ut magna admodum concilii (quam etiam magnum sit) pars muneribus aut gratia corrumpatur. Atque adeo longe securius res sese habebit, si quotannis ex unaquaque familia duo cedant et totidem iisdem succedant (si nimirum ex unaquaque familia quinque consiliarii habendi sunt), praeterquam eo anno, quo iuris prudens alicuius familiae cedit et novus eius loco eligitur.


[1Le conseil doit être renouvelé le plus souvent possible. Voyez à ce sujet : Traité politique, VII, §21 et Traité politique, VIII, §30.

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