Traité politique, VII, §20

  • 22 mars 2005


Pour que les citoyens soient égaux autant que possible, il faut que soient réputés nobles ceux-là seuls qui sont issus du roi. Mais s’il était permis à tous les descendants du roi de prendre femme et de procréer des enfants, dans la suite du temps leur nombre irait toujours en croissant et ils seraient pour le roi et pour tous non seulement une charge, mais un danger des plus redoutables [1]. Les hommes en effet qui vivent dans l’oisiveté, méditent généralement des crimes. De là cette conséquence que l’existence des nobles est pour le roi une raison très puissante de faire la guerre : les rois tirent plus de sécurité et de repos, quand il y a abondance de nobles, de la guerre que de la paix. Mais je laisse ici ce sujet suffisamment connu que j’ai d’ailleurs traité dans les §§ 15 à 27 du chapitre précédent : les points principaux sont démontrés dans le présent chapitre, et les autres sont manifestes par eux-mêmes.


Traduction Saisset :

Il est nécessaire, pour que les citoyens soient égaux autant que possible, et c’est là un des premiers besoins de l’État, que nuls ne soient considérés comme nobles que les enfants du Roi ; mais si tous ces enfants étaient autorisés à se marier et à devenir pères de famille, le nombre des nobles prendrait peu à peu de grands accroissements, et non-seulement ils seraient un fardeau pour le Roi et pour les citoyens, mais ils deviendraient extrêmement redoutables. Car les hommes qui vivent dans l’oisiveté pensent généralement au mal. Et c’est pourquoi les nobles sont très-souvent cause que les rois inclinent à la guerre, le repos et la sécurité du roi parmi un grand nombre de nobles étant mieux assurés pendant la guerre que pendant la paix. Mais je laisse de côté ces détails, comme assez connus, de même que ce que j’ai dit dans le précédent chapitre depuis l’article 15 jusqu’à l’article 27 du précédent chapitre ; car les points principaux traités dans ce chapitre sont démontrés, et le reste est évident de soi.


Ut cives, quantum fieri potest, aequales sint, quod in civitate apprime necessarium est, nulli nisi a rege oriundi, nobiles censendi sunt. At si omnibus ex rege oriundis uxorem ducere seu liberos procreare liceret, successu temporis in magnum admodum numerum crescerent, et regi et omnibus non tantum oneri, sed formidolosissimi insuper essent. Homines enim, qui otio abundant, scelera plerumque meditantur. Unde fit, ut reges maxime nobilium causa inducantur, bellum gerere, quia regibus nobilibus stipatis maior ex bello, quam ex pace securitas et quies. Sed haec utpote satis nota relinquo, ut et quae ex art. 15. usque ad 27. in praeced. cap. dixi. Nam praecipua in hoc cap. demonstrata, et reliqua per se manifesta sunt.


[1Voyez Machiavel, Discours sur la première décade de Tite-Live, Livre I, chap. LV, §5, où Machiavel montre que des nobles oisifs et corrompus sont "les ennemis naturels de toute police raisonnable", et qu’il n’y a qu’"une main royale qui puisse brider l’ambition d’une noblesse corrompue".

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