Traité politique, VII, §24

  • 22 mars 2005


Sur les principes énoncés aux §§ 34 et 35 du chapitre précédent, il ne peut y avoir de contestation. Il est facile de démontrer que le roi ne doit pas faire sa femme d’une étrangère [1]. Outre que deux cités, même liées entre elles par un traité, sont cependant en état d’hostilité l’une à l’égard de l’autre (par le § 14 du chapitre III), il faut craindre surtout que le roi ne soit poussé à faire la guerre par un intérêt de famille. Comme les discussions et les querelles ont pour origine principale cette sorte de société qu’est le mariage, et que les conflits entre deux cités se terminent le plus souvent par la guerre, il apparaît qu’un État va à sa perte quand il contracte avec un autre une union étroite. Un grand exemple de ce mal se lit dans l’Écriture : à la mort de Salomon qui avait pris pour femme la fille du roi d’Égypte, son fils Réoboam eut à soutenir une guerre très malheureuse contre Susac roi d’Égypte, par lequel il fut entièrement vaincu [2]. Le mariage de Louis XIV, le roi de France, avec la fille de Philippe IV fut le germe d’une nouvelle guerre [3] et l’on trouve dans les récits des historiens un grand nombre d’autres exemples.


Traduction Saisset :

Il ne peut y avoir non plus aucun doute touchant ce qui a été dit aux articles 34 et 35 du chapitre précédent. Quant à ce principe, que le Roi ne doit pas prendre une épouse étrangère, il est facile de le démontrer. En effet, outre que deux États, bien qu’unis par un traité d’alliance, sont toujours en état d’hostilité (par l’article 14 du chapitre III), il faut prendre garde sur toutes choses que la guerre ne soit allumée à cause des affaires domestiques du Roi. Et comme les différends et les discordes naissent de préférence dans une société telle que le mariage, comme en outre les différends entre deux États se vident presque toujours par la guerre, il s’ensuit que c’est une chose pernicieuse pour un État que de se lier à un autre par une étroite société. Nous en trouvons dans l‘Écriture un fatal exemple. A la mort de Salomon, qui avait épousé une fille du roi d’Égypte, son fils Rehoboam fit une guerre très-malheureuse à Susacus, roi d’Égypte, qui le soumit complètement. Le mariage de Louis XIV, roi de France, avec la fille de Philippe IV fut aussi le germe d’une nouvelle guerre, et on trouverait dans l’histoire bien d’autres exemples.


De iis etiam, quae art. 34. et 35. praeced. cap. diximus, ambigere nemo potest. Quod autem rex extraneam in uxorem ducere non debet, facile demonstratur. Nam praeterquam quod duae civitates, quanquam foedere inter se sociatae, in statu tamen hostilitatis sunt (per art. 14. cap. 3.), apprime cavendum est, ne bellum propter regis res domesticas concitetur, et quia controversiae et dissensiones ex societate praecipue, quae ex matrimonio fit, oriuntur, et quae inter duas civitates quaestiones sunt, iure belli plerumque dirimuntur. Hinc sequitur imperio exitiale esse arctam societatem cum alio inire. Huius rei fatale exemplum in scriptura legimus mortuo enim Salomone, qui filiam regis Aegypti sibi matrimonio iunxerat, filius eius Rehabeam bellum cum Susaco Aegyptiorum rege infelicissime gessit, a quo ommino subactus est). Matrimonium praeterea Ludovici XIV. regis Galliarum cum filia Philippi quarti novi belli semen fuit. Et praeter haec plurima exempla in historiis leguntur.


[2Voyez Premier livre des Rois, chap.14, 25 et suiv. ; Deuxième livre des Chroniques, 12.

[3La guerre de succession pour la possession des pays bas espagnols (1667-8) (note de S. Zac).

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