Traité politique, XI, §04

  • 17 mai 2005


Peut-être demandera-t-on si les femmes sont par nature ou par institution sous l’autorité des hommes ? Si c’est par institution, nulle raison ne nous obligeait à exclure les femmes du gouvernement. Si toutefois nous faisons appel à l’expérience, nous verrons que cela vient de leur faiblesse. Nulle part sur la terre hommes et femmes n’ont régné de concert, mais partout où il se trouve des hommes et des femmes, nous voyons que les hommes règnent et que les femmes sont régies, et que, de cette façon, les deux sexes vivent en bonne harmonie ; les Amazones au contraire qui, suivant une tradition, ont régné jadis, ne souffraient pas que des hommes demeurassent sur leur territoire, ne nourrissaient que les individus du sexe féminin et tuaient les mâles qu’elles avaient engendrés [1]. Si les femmes étaient par nature les égales des hommes, si elles avaient au même degré la force d’âme, et les qualités d’esprit qui sont, dans l’espèce humaine, les éléments de la puissance et conséquemment du droit, certes, parmi tant de nations différentes, il ne pourrait ne pas s’en trouver où les deux sexes règnent également, et d’autres où les hommes seraient régis par les femmes et recevraient une éducation propre à restreindre leurs qualités d’esprit. Mais cela ne s’est vu nulle part et l’on peut affirmer en conséquence que la femme n’est pas par nature l’égale de l’homme, et aussi qu’il est impossible que les deux sexes règnent également, encore bien moins que les hommes soient régis par les femmes. Que si en outre on considère les affections humaines, si l’on reconnaît que la plupart du temps l’amour des hommes pour les femmes n’a pas d’autre origine que l’appétit sensuel, qu’ils n’apprécient en elles les qualités d’esprit et la sagesse qu’autant qu’elles ont de la beauté, qu’ils ne souffrent pas que les femmes aimées aient des préférences pour d’autres qu’eux, et autres faits du même genre, on verra sans peine qu’on ne pourrait instituer le règne égal des hommes et des femmes sans grand dommage pour la paix. Mais assez sur ce point.

La suite manque.


Traduction Saisset :

Mais, me demandera peut-être quelqu’un, est-ce par une loi naturelle ou par une institution que les femmes sont sous la puissance des hommes ? Car si ce n’est que par une institution humaine, assurément aucune raison ne nous oblige à exclure les femmes du gouvernement. Mais si nous consultons l’expérience, nous verrons que l’exclusion des femmes est une suite de leur faiblesse. En effet, on n’a vu nulle part régner ensemble les hommes et les femmes ; au contraire, partout où l’on rencontre des hommes et des femmes, les femmes sont gouvernées et les hommes gouvernent, et de cette façon la concorde existe entre les deux sexes. Tout au contraire les amazones, qui régnèrent jadis, suivant la tradition, ne permettaient pas aux hommes de demeurer dans leur pays ; elles n’élevaient que leurs filles et tuaient leurs enfants mâles. Or, s’il était naturel que les femmes fussent égales aux hommes et pussent rivaliser avec eux tant par la grandeur d’âme que par l’intelligence qui constitue avant tout la puissance de l’homme et partant son droit, à coup sûr, parmi tant de nations différentes, on en verrait quelques-unes où les deux sexes gouverneraient également, et d’autres où les hommes seraient gouvernés par les femmes et élevés de manière à être moins forts par l’intelligence. Comme pareille chose n’arrive nulle part, on peut affirmer sans restriction que la nature n’a pas donné aux femmes un droit égal à celui des hommes, mais qu’elles sont obligées de leur céder ; donc il ne peut pas arriver que les deux sexes gouvernent également, encore moins que les hommes soient gouvernés par les femmes. Considérons en outre les passions humaines : n’est-il pas vrai que le plus souvent les hommes n’aiment les femmes que par l’effet d’un désir sensuel et n’estiment leur intelligence et leur sagesse qu’autant qu’elles ont de la beauté ? Ajoutez que les hommes ne peuvent souffrir que la femme qu’ils aiment accorde aux autres la moindre faveur, sans parler d’autres considérations pareilles qui démontrent facilement qu’il ne se peut faire, sans grand dommage pour la concorde, que les hommes et les femmes gouvernent également. Mais en voilà assez sur cet objet...

Le reste manque.


Sed forsan rogabit aliquis, num feminae ex natura an ex instituto sub potestate virorum sint ? Nam si ex solo instituto id factum est, nulla ergo ratio nos coegit feminas a regimine secludere. Sed si ipsam experientiam consulamus, id ex earum imbecillitate oriri videbimus. Nam nullibi factum est, ut viri et feminae simul regnarent, sed ubicumque terrarum viri et feminae reperiuntur, ibi viros regnare et feminas regi videmus, et hac ratione utrumque sexum concorditer vivere. Sed contra Amazonae, quas olim regnasse fama proditum est, viros in patrio solo morari non patiebantur, sed feminas tantummodo alebant, mares autem, quos pepererant, necabant. Quod si ex natura feminae viris aequales essent, et animi fortitudine et ingenio, in quo maxime humana potentia et consequenter ius consistit, aeque pollerent, sane inter tot tamque diversas nationes quaedam reperirentur, ubi uterque sexus pariter regeret, et aliae, ubi a feminis viri regerentur atque ita educarentur, ut ingenio minus possent. Quod cum nullibi factum sit, affirmare omnino licet, feminas ex natura non aequale cum viris habere ius ; sed eas viris necessario cedere, atque adeo fieri non posse, ut uterque sexus pariter regat, et multo minus, ut viri a feminis regantur. Quod si praeterea humanos affectus consideremus, quod scilicet viri plerumque ex solo libidinis affectu feminas ament, et earum ingenium et sapientiam tanti aestiment, quantum ipsae pulchritudine pollent, et praeterea quod viri aegerrime ferant, ut feminae, quas amant, aliis aliquo modo faveant, et id genus alia, levi negotio videbimus, non posse absque magno pacis detrimento fieri, ut viri et feminae pariter regant. Sed de his satis.

Reliqua desiderantur.


[1Voyez Justin, Histoire universelle, livre II, chap 4 : « Leurs femmes, à la fois veuves et bannies, courent aux armes, repoussent l’ennemi, l’attaquent bientôt à leur tour. Elles renoncent au mariage, qui ne leur semble plus qu’une servitude ; et, donnant un exemple que nul siècle n’a imité, elles étendent et conservent leur nouvel empire sans le secours des hommes qu’elles méprisent : pour prévenir toute jalousie, elles égorgent ceux qui restaient parmi elles, et vont enfin venger, par la ruine de leurs voisins, le massacre de leurs époux. Dans la paix qui suivit cette victoire, elles s’unirent aux nations voisines, pour ne pas laisser éteindre leur race : elles égorgeaient tous leurs enfants mâles, et élevaient les filles, non dans l’oisiveté ou dans les travaux des femmes, mais dans les fatigues où elles-mêmes passaient leur vie ; elles les exerçaient au maniement des armes, à l’équitation, à la chasse : pour leur rendre plus facile l’usage de l’arc, elles leur brûlaient, dès l’enfance, la mamelle droite, d’où leur vint le nom d’Amazones. »

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